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L'escabelle
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7 mai 2009

Les Justes / Les Mains Sales

J'ai eu la chance de voir successivement Les Justes de Camus (cet hiver), et Les Mains Sales de Sartre (il y a quelques jours), deux pièces qui se répondent sur le sujet de l'engagement politique. La fin justifie-t-elle toujours les moyens, peut-on préserver le respect de soi malgré des actes barbares, comment vivre la concrétisation des idéaux, le pragmatisme des politiques avec les risque de compromis(sions), et l'incohérence des discours dominants d'une période à l'autre, qui demandent aux militants de renier les principes pour lesquels ils ont tué quelques mois plus tôt.

Les Justes (1949) présente des révolutionnaires se préparant à jeter des bombes au passage d'un homme politique. Les personnes incarnent tour à tour et un peu mécaniquement les états d'âme par lesquels peuvent passer des individus sincères et humains. Le premier attentat ayant été abandonné en pleine action parce que l'un des terroristes s'aperçoit que le tyran est accompagné d'enfants et que des victimes innocentes auraient péri, un débat s'engage entre les personnages sur ce qu'il aurait convenu de faire. Le thème du sacrifice est évidemment central, que ce soit celui des victimes collatérales, ou celui des activistes, qui renoncent à une vie normale, à l'amour, au simple bonheur des gens ordinaires. Finalement un deuxième attentat réussit, le coupable est arrêté et meurt sans dénoncer ses camarades, tandis que la femme qui l'aime décide de s'impliquer davantage dans la lutte et de lancer la prochaine bombe.

Je ne suis jamais tout à fait rentrée dans la pièce, peut-être à cause du jeu des acteurs ou de la mise en scène, ou du texte, qui présente un catalogue trop raisonné des cas de figures envisageables. Le contexte historique des actions terroristes du début du XXème siècle en Russie n'était guère marqué, et les répliques me ramenaient avec insistance aux attentats de notre monde actuel, c'est-à-dire dénués à mes yeux de tout romantisme ténébreux. En y réfléchissant, sur le même thème, le film Münich, de Spielberg, qui montre des agents du Mossad chargé de tuer certaines cibles précises, développe bien plus efficacement les tortures mentales des tueurs. (Bon, ça va peut-être faire grincer des dents que je préfère Spielberg à Camus... sorry sorry)

Les Mains Sales (1948) m'a enthousiasmée en revanche. La pièce se nourrit d'un dynamisme de confrontation entre des individus qui se questionnent en miroir, se rapprochent ou s'éloignent selon des polarités changeantes au fil du temps. Elle met en lumière les facettes multiples qui coexistent en chacun à un instant donné et se modifient au fil de l'expérience. Les postures politiques ou politiciennes s'opposent, les discours et les principes se répondent, et toujours des relations humaines particulières viennent colorer des actes politiques. Hugo, l'aristocrate, essaie de se disculper du péché originel d'être né riche. S'il épargne Hoederer une fois parce qu'enfin quelqu'un l'a reconnu comme son égal, un être humain parmi les autres, il finit par le tuer, non pas par jalousie ou sursaut idéologique mais par dépit d'avoir été manipulé comme un jouet, ravalé au rang humiliant dont il avait cru sortir. Mais manipulé, il l'est de toute manière par la grosse machine du parti, et n'aura qu'un moyen pour y échapper.

Cette problématique apparaît aussi dans le personnage de sa femme Jessica, aussi bien dans dans ceux des gardes du corps, tous prédéterminés par leur sexe et leur classe.

Très intéressantes également sont les scènes où la stratégie politique est discutée: faut-il s'allier avec les ennemis d'antan pour vaincre au final en ayant trompé un peu de monde au passage? Fait-il rester pur? Quels sont les risques de rdérive? Peut-on rester fidèle à ses idéaux au fil des ans lorsque les circonstances se jouent des grands principes?

J'ai trouvé la pièce de Sartre beaucoup plus subtile que celle de Camus, et son texte très spirituel, franchement drôle parfois.  Un chouia misogyne sur la fin, quand Jessica se jette au cou d'un Hoederer assez condescendant, ne voyant en elle qu'une conquête à renverser sur le lit... A moins que cela montre simplement une facette supplémentaire d'un personnage ambigu...

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Commentaires
V
J'ai l'info : site Richelieu /auditorium Colbert, 18h 30-20h (entrée libre), débat entre le philosophe Michel Contat et un metteur en scène. S'il te reste encore un peu de temps...
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V
Hé hé, je me doutais bien que comparer Camus à Spielberg risquait de m'attirer quelques foudres! <br /> D'ailleurs, j'ai aussi noté une belle phrase de la pièce: "on commence par vouloir la justice, et on finit par organiser une police".<br /> Pour en revenir à ta citation de Camus, Gerjac, j'imagine qu'on peut l'associer à un refus du fanatisme idéologique tel que les excès du communisme. Cette phrase est très émouvante aussi.<br /> Mais en même temps, c'est bien aussi par amour des hommes que certains combats politiques sanglants doivent être menés, là où des tyrannies / dictatures etc les oppriment... <br /> Je ne connais pas tellement Camus (du tout)et je serais bien inspirée d'aller à ce (genre de) colloque de la BNF! Merci Volland.
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V
A noter, vite, ce mercredi 13, à la BNF (Richelieu ou Mitterand ? à vrai dire je ne sais) un colloque qui tombe à pic pour nourrir le débat : Sartre, Camus :deux visions de l'engagement politique et littéraire" ...
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G
Voir la pièce "Les mains sales" au moment de la journée internationale sur le lavage des mains me parait une excellente initiative.<br /> <br /> Mais je ne peux être d'accord avec cette critique implicite de la pensée de Camus, ravalée au rang de celle de Spielberg.<br /> <br /> "J'aime ceux qui vivent aujourd'hui sur la même terre que moi et c'est eux que je salue. C'est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. Et pour une cité lointaine dont je ne suis pas sûr, je n'irai pas frapper le visage de mes frères. Je n'irai pas ajouter à l'injustice vivante pour une justice morte."<br /> <br /> Pour moi, dans le match Sartre-Camus, une telle phrase marque une victoire par KO.
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