Inglourious Basterds
Dans Inglourious basterds, un peu comme dans le jubilatoire Pulp Fiction, Tarantino nous procure un plaisir intense, euphorique, en sachant toujours s'arrêter avant l'excès qui gâcherait tout. Il nous capte puis nous emporte dans son récit, en jouant sur tous nos sens. La vue, avec sa caméra gourmande et curieuse, qui s'attarde sur les visages et les corps, respectueuse devant l'aristocratique beauté de Diane Kruger, caressante et sensuelle quand elle s'attache à Mélanie Laurent, efficace dans le feu de l'action, magistrale et grandiose dans la dernière scène du cinéma. Mais aussi, on ressent presque dans notre chair le doigt qui fouaille une blessure ouverte, on est toute ouie quand Tarantino joue avec les accents britanniques et américains, on croirait soi-même goûter un certain verre de lait, ou on reste bouche bée devant un strudel dont la crème Chantilly absorbe soudain toute notre attention.
Tarantino filme à merveille le basculement: d'abord les scènes qui s'étirent, la tension qui monte et supplicie le spectateur comme les personnages, puis se dénoue subitement - dans un déferlement de violence libératrice, une griserie qui confine à la jouissance, ou bien un simple battement de cil qui trahit la défaite, une rougeur, un trait qui se creuse, un regard qui s'avoue vaincu, la peur qui affleure dans un frémissement. Même si le film comporte beaucoup de scènes d'actions, le véritable affrontement est mental, et le plus souvent entre deux duellistes.
C'est tout entier que nous nous abandonnons à ce film, y compris lors de moments très drôles, presque burlesques, surtout dans la dernière partie du film, quand l'Histoire passe aux oubliettes et que l'intrigue s'affranchit de toutes contraintes pour se nouer en fiction toute personnelle. J'ai hâte de pouvoir partager avec d'autres ce que j'ai ressenti à tel ou tel passage.
Ceci dit, comme avec Pulp Fiction, Inglourious Basterds me laisse une interrogation, un soupçon de culpabilité à tant savourer une oeuvre parfaitement gratuite, qui se situe en dehors de toute réflexion particulière sur quoi que ce soit, et même utilise des personnages historiques comme des marionnettes dans une fiction totalement imaginaire. Un pur objet de plaisir, a-moral. Un objet de luxe, comme le serait un plat de grand cuisinier, peut-être, mais accessible à tous. Allez, ça y est, j'ai trouvé un prétexte intello pour vanter ce film: il attire le tout public, même le moins cultivé, et leur offre un cinéma virtuose, une porte d'entrée vers l'art. Tarantino est un bienfaiteur de l'humanité, finalement.