Désobéir aux lois?
"A quelles conditions peut-on ou doit-on désobéir aux lois?": voilà un débat qui a été lancé l'autre jour.
Déjà, la formulation de la question réveille en sursaut mon esprit de contradiction. Quelle désinvolture, à poser implicitement comme une évidence que parfois l'on peut , voire même on doit désobéir aux lois... Surtout dans une portion du monde où la démocratie et la séparation des pouvoirs sont venus étayer un contrat social où la raison du plus fort ne s'impose plus aux manants, mais qui fonde une société de droit. L'intérêt général a sans doute un prix, il est vrai, mais ne vaut-il pas la peine d'être payé?
Cependant on ne peut que songer aux avortements qu'il a bien fallu pratiquer dans la clandestinité jusque récemment, à certains cas d'euthanasie, à l'illégalité de l'adultère et des relations homosexuelles dans des pays proches, à bien des exemples où en effet, faute de loi raisonnable, il a bien fallu s'arranger autrement.
Pour autant va-t-on édicter une liste de cas admissibles, et de précautions à prendre? Par exemple: si on n'est pas en démocratie, ou si on traverse une période de guerre ou d'occupation, ou si on est vraiment très très convaincu d'avoir raison... A condition d'agir par altruisme, d'assumer la prison le cas échéant...?
Mais à supposer qu'on arrive à se mettre d'accord, on risquerait toujours d'oublier quelque chose, et puis finalement cela reviendrait à édicter une loi sur la désobéissance légitime...
La question me paraît très difficile, et pour le moment, je n'aurais que quelques pistes à creuser.
D'abord cet "intérêt général", dont il était question plus haut. Sa définition peut fluctuer, et le législateur se montrer réticent à s'adapter... A quel point est-il général, d'ailleurs? N'est-il pas plutôt l'habillage politiquement correct des intérêts d'une classe dominante qui impose à tous une organisation qui lui profite? Et puis aujourd'hui, cette notion a-t-elle encore un sens? La société actuelle est mondialisée - concrètement, et à notre petit niveau, on a tous des amis, des connaissances qui travaillent à l'étranger, par exemple. Les structures familiales et réseaux professionnels sont en pleine mutation. L'idée de bonheur et sa recherche se déclinent au singulier... Comment définir un intérêt général rassemblant les intérêts particuliers des individus, à l'intersection de groupes humains imbriqués et fluctuants? De plus, peut-être certains groupes émergents (ex: les homosexuels) se sentent-ils mal défendus par une législation archaïque où ils ne se reconnaissent pas, alors qu'en même temps la légitimité de leurs revendications (ex: l'adoption) leur semble évidente. Vivant hors des antiques sentiers battus, ces communautés pourraient alors devenir hors-la-loi.
Dans le débat de l'autre jour a surgi l'exemple d'Antigone, qui a désobéi à la loi, c'est-à-dire à Créon, en enterrant son traître de frère malgré l'interdit politique. A t-elle eu raison, comme je l'ai entendu? En tout cas, la pièce expose un dilemme passionnant, car en administrant les rites funéraires pour que son frère trouve le repos, Antigone a obéi à une autre loi: celle de la famille et de la religion.
Comment procéder quand on est écartelé entre deux lois, qui tout à coup entrent en conflit?
Un dernier point me turlupine. Avec cette question ont surgi des images un peu romantiques de citoyens-héros prêts à payer cher pour sauvegarder leurs droits. Mais regardons du côté des dirigeants: que penser des latitudes que nous accordons à nos gouvernants, qui vivent au rythme de la Raison d'Etat, et pour qui la fin justifie parfois les moyens... ? Jusqu'où nos présidents peuvent-ils tricher avec la loi du commun des mortels?