Cranach et son temps
Pour ceux qui le peuvent, ne manquez pas l’exposition Cranach et son temps, qui se tient au Musée du Luxembourg jusqu’au 23 mai.
Cranach (1472-1553) est un peintre majeur de la Renaissance germanique, impliqué dans les débats politiques et religieux de son époque. Il a également créé un atelier, repris ensuite par son fils, qui a produit beaucoup d’œuvres grâce à des procédés de copies et de reproduction.
J’avais vu peu de ses peintures, et gardé en mémoire surtout un tableau représentant Adam et Eve, à la Courtauld Gallery, de Londres : beauté d’Eve, diaphane et sensuelle en même temps, dans un décor symbolique et plein d’esprit. On en retrouve plusieurs au musée du Luxembourg, ainsi que beaucoup de sujets religieux dont l’impact idéologique est très bien expliqué par l’audio-guide : Cranach peignait aussi pour illustrer ou appuyer les thèses de Luther, choisissant des sujets soutenant la Réforme. Un activisme politique pouvait également s’exprimer par ce canal : le thème du suicide de Lucrèce, par exemple, était une allusion directe à la chute d’un tyran (Tarquin), et marquait par là une résistance au pouvoir en place et aux pressions vaticanes.
Toute cette mise en contexte anime la peinture de Cranach, exempte de tout académisme poussiéreux. Les visages, les postures sont pleins de vie, presque naturels. Les portraits sont singuliers, et révèlent non seulement un statut social mais aussi une personne, que l'on caresse du regard. Plusieurs fois des travaux d’autres artistes, notamment Dürer sont exposés, permettant de les comparer. Des scènes de genre y trouvent aussi leur place.
Ses oeuvres semblent engager un dialogue avec le spectateur, jouant sur les conventions de l'époque. Prenons par exemple la "Nymphe de la Source", variation sur une scène mythologique où figurent normalement des satyres. Or ici la jeune fille est en plan très resserré et point de satyre visible - mais ne sont-ils pas les spectateurs qui font cercle? L'érotisme du sujet se réverbère en message moralisateur.
Les nus féminins sont surprenants – je me demande comment cette tendresse de la chair, ces invitations à l’amour, pudiques et paradoxalement chastes, étaient ressenties à l’époque. Il s’agissait de représenter les vertus, la justice par exemple, mais dans une incarnation si troublante que l’on se demande si le peintre protestant n’a pas retrouvé un peu d’hypocrisie catholique pour l’occasion.