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L'escabelle
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23 août 2011

Melancholia

Melancholia

Melancholia, de Lars Von Trier,   Prix d’interprétation féminine Cannes 2011, est un film extrêmement soigné, méticuleusement réalisé et réfléchi. Il y est question de mélancolie, au sens d’un trouble du comportement  lié à un excès de bile noire, que l’on appellerait plutôt état dépressif aujourd’hui. C’est aussi le nom d’une planète qui menace de percuter la Terre.

Le film se compose de deux volets portant le nom des personnages féminins principaux, deux sœurs  jouées par Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg, excellentes toutes les deux.

La première partie nous montre le mariage de Justine , luxueusement confié à un wedding planner par sa sœur. Justine semble y être en proie à un monde d’argent sans scrupule, à la fois directrice artistique  harcelée par son patron (invité au mariage, du reste), sommée d’être heureuse par son beau-frère qui veut un retour sur l’investissement qu’a coûté le mariage, abandonnée par un père venu entre ses deux maîtresses et sa mère, glacée, critique et amère, qui la repousse sans ménagement, soutenue à bout de bras par sa sœur mais dans un malentendu constant (« je croyais que c’est ce qui te ferait plaisir »). Le jeune marié lui offre un amour peut-être trop mièvre, en tout cas qui ne s’impose contre tout le reste, et finit par jeter l’éponge. Justine n’arrive pas à jouer le jeu.

La deuxième partie se déroule plus tard. Claire s’occupe de sa sœur, qui est en état d’épuisement nerveux, et la fait venir chez elle, au château de son mari. Celui-ci passe le plus clair de son temps à examiner la trajectoire de la planète. Il rassure Claire sur le risque de collision, incarnant en quelque sorte le point de vue des scientifiques. Les deux parties nous montrent les deux sœurs  en interaction constante et les éclairent l’une par l’autre. On pourrait en rester là, des destinées individuelles.

On pourrait aussi supposer qu’il s’agit d’une allégorie, les personnages représentant la dérive de notre société : perte d’amour, confusion des valeurs, rituels sociaux vides de sens (mariage, prendre un verre de vin sur la terrasse en attendant le choc) par opposition au rituel que Justine conjure à la fin pour le petit garçon, lâcheté et démission des hommes en fuite (le père, le jeune marié, le mari),  défaite de la science (le télescope le plus sophistiqué ne dira rien de plus qu’une boucle en fil de fer à l’extrémité d’une baguette). Il y a en effet de quoi en périr, comme si notre humanité était  en voie d’extinction.

Mais ce ne serait pas le point fort du film, en tout cas. Le monde est pourri et court à sa perte… « Something is rotten in the state of Denmark » décalre Marcellus dans Hamlet, réminiscence soufflée par l’Ophélie de Millais, dont la reproduction affichée renvoie à l’image de Justine glissant sur le fleuve dans sa robe de mariée. Vu du bout de la lorgnette (ou du télescope) de Lars Von Trier, c’est peut-être vrai mais le message reste peut-être à affiner… Il semblerait du reste que c’est surtout le propre état dépressif du cinéaste qui aurait inspiré l’intrigue, sans message général donc.

Mais il y a bien d’autres choses à apprécier dans le film. L’esthétique des images, par exemple : le générique de début avec sa succession de tableaux vivants où l’on voit les personnages s’engluer dans des gestes et décors  énigmatiques, et qui s’expliquent petit à petit au fil de l’intrigue ; le contraste entre ces images et des scènes tournées avec un léger tremblement, comme caméra au poing.. Les actrices sont excellentes. Le choix de Charlotte Gainsbourg  pour incarner la docilité sociale est intéressant, parce qu’elle est si délibérément peu  « glamour »  que le contre-emploi introduit une tension permanente pour tenter de la comprendre. Kirsten  Dunst en revanche est  si blonde, si belle et en même temps animée d’une telle intensité intérieure qu’on ne peut en détacher son attention. La musique est intéressante aussi : crooners dégoulinants pour le mariage et la décadence, solennelle et pathétique (Tristan et Iseult, de Wagner) pour la deuxième partie. Des plans inoubliables – par ex Kirsten Dunst baignée de lumière bleuie près de la rivière, le jardin illuminé d’une lueur nocturne avec le cadran solaire au premier plan.

Le dernier quart d’heure du film valait la Palme d’Or à lui tout seul.

Assez curieusement, j’ai trouvé quelques points communs avec le film de Terence Malik. La musique classique, les plans audacieux, la dimension  cosmique, et surtout une espèce de grandiloquence parfaitement assumée – sans pour autant tirer la comparaison trop loin. Sans doute les recherches esthétiques au cinéma suivent-elles des tendances.

 

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Commentaires
V
Je le crains, oui... (et avoue que le petit mot de Dasola n'est guère encourageant par ailleurs...).L'affiche cinématographique actuelle me semble se partager entre ceux qui veulent trop en dire et tombent dans un ésotérisme mystique (LVT, MaliK...)et ceux qui proclament fièrement qu'ils n'ont rien à dire (C. Honoré et ses Bien aimés, que je n'irai pas voir non plus.....). Tout cela donne un cinéma intello et esthétisant qui, en tout cas actuellement, ne me parle guère... Vive le cinéma iranien !...
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V
Je n'ai pas ressenti d'aspiration vers un idéalisme de mauvais aloi... Pour moi la seule association d'idée avec le nazisme est l'utilisation de Wagner (choix qui ne m'a guère comblée, sa musique m'ennuie un peu). Mais peut-être la culture me manque-t-elle pour reconnaître une transition dangereuse. On baigne surtout dans une mélancolie morbide, un peu hypnotique, fascinée par le néant. Justine semble retrouver ses forces en s'exposant à la planète et, force nocturne et angélique positive, soutient sa soeur et son neveu pour le passage final. Peut-être y a-t-il là un écho de forces mythologiques nordiques (type Niebelungen), je ne sais pas. <br /> Ceci dit, ta vigilance me semble d'autant plus justifiée que les propos de Von Trier ne paraissent pas hésitants, maladroits ou confus.. Il ne cherche pas ses mots qd il déclare qu'il s'assimile à Hitler.<br /> Tout cela est assez mystérieux et évoquerait l'attitude ambiguë de Peter Handke devant la tombe de Milosevic, par exemple.<br /> Donc finalement, tu boycottes?
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D
Bonsoir Véranne, je suis d'accord que le dernier quart d'heure est magnifique, le pré-générique aussi d'ailleurs. Quant au reste... Bonne soirée.
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V
Je n’ai pas vu le film et je n’en discuterai donc pas – mais disons que sa problématique « cosmique » et l’esthétisme forcené dont tu parles (très bien) me rendent quelque peu réticent à franchir le pas… Mais petite question, dont je sais qu’elle rencontre des interrogations éthiques antérieures de ta part : peut-on voir ce film sans penser aux déclarations - un peu vite qualifiées par leur auteur d’irresponsables et d’ immatures – du réalisateur à Cannes ? On peut dire que ça n’a rien à voir et, pour prendre un exemple écrasant, qu’il faut continuer de lire (les romans de) Céline (sans peut-être commémorer Louis-Ferdinand). Tu sais que c’est là ma position. Mais de même que l’idéologie mortifère des pamphlets antisémites céliniens est néanmoins déjà en germe dans la vision du monde que propose le Voyage, je me demande si les interrogations vaguement millénaristes du film et l’esthétisme des images que tu décris sont aussi innocents qu’il y paraît… Il y a là apparemment un côté "fin de siècle" dont on sait de quel côté il regarde d'ordinaire...
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