La piel que habito, Almodovar
Avertissement aux lecteurs: ce billet raconte beaucoup le film...
Voilà un film qui m’a plongée dans le malaise, une espèce de déni nauséeux de l’intrigue, et dont je suis sortie à grand-peine, comme aspirée par une fascination malsaine.
D’abord, il y a le côté « Ile du Docteur Moreau », avec le médecin fou qui effectue des opérations monstrueuses – ce qui ne fait jamais plaisir.
Ensuite il y a cette vision terrifiante de la femme, qui nous ramène à des siècles en arrière dans des hantises ténébreuses, liée à la folie et au mensonge : la mère de deux bâtards, dont les « entrailles engendrent la folie », l’épouse qui s’enfuit avec son amant, et horriblement brûlée après un accident ne trouve rien de plus astucieux que de se défenestrer pour mourir aux pieds de sa fille, auparavant sans doute assez normale, puis la fille, justement, vierge souillée sombrant également dans la folie et le suicide, comme l’Ophélie d’Hamlet. Les deux seules femmes à peu près sympa sont lesbiennes et vivent en un couple de 25 ans d’écart. Quant au héros, l’unique femme avec qui il arrive à retourner au lit est en fait un homme. Ajoutons à cela que le pire châtiment qu’il trouve à un jeune homme dont il veut se venger est justement de le transformer en femme…
Bref tout cela est assez oppressant, et j’imagine qu’Almodovar n’en a pas fini de digérer son homosexualité. Un thème lancinant est celui de l’identité, exploité dans la douleur.
Il n’empêche qu’en même temps, le film est d’une grande maîtrise, l’action s’empare de nous, nous happe dans cette maison – labyrinthe où le Minotaure rôde, et les acteurs sont excellents. On y retrouve les flash-backs d’Etreintes Brisées, mais sans la flamboyance. La Piel que Habito est beaucoup plus sobre, à quelques plans près, filmés des plafonds. Cette oeuvre me donne la même fascination morbide que les tableaux de Francis Bacon. Les amateurs de thrillers habités par des sadiques désaxés devraient aussi y trouver leur compte, le fil conduteur des recherches du savant fou étant très efficace.
Petite interrogation tout de même : le grain et les couleurs de l’image m’évoquent des films un peu anciens (des années 70, par exemple) alors que l’action est censée se dérouler en 2012. Je ne sais pas si cette impression aura été partagée.