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18 avril 2015

Michel Houellebecq: Soumission

Soumission_Houellebcq

J’ai acheté Soumission à l’origine pour marquer mon soutien à Charlie, et Houellebecq dans la foulée : liberté d’expression, liberté d’expression !

J’imaginais sans l’avoir lu que Soumission serait provocateur et mettrait son auteur en danger. Du reste Michel Houellebecq a effectivement gardé profil bas après l’attentat.

Avec le recul, le risque éventuel aurait pu venir de multiples bords. Mais globalement l’ouvrage n’est pas un brûlot. S’il joue sur des peurs primaires, son intrigue reste assez plate, peut-être trop ligotée par son ancrage dans notre actualité quotidienne. Tout est si proche que le décor et les développements sont principalement interrogés en référence à notre société. L’imaginaire du lecteur reste bridé.

Les trente premières pages sont pourtant écrites à l’acide. On retrouve l’inventivité sans faille de sa misogynie, inscrite dans une auto-dérision cruelle. Le héros, François, est sans illusion sur rien, à commencer par lui-même. Sa grandeur, car il est un chercheur reconnu, réside dans sa thèse sur Huysmans, l’auteur qui accompagne son récit. A Rebours donne les repères qu’utilise François pour déchiffrer le monde et diriger sa vie, dans un très beau compagnonnage.

Le souci vient cependant lorsque le roman hésite au bord de la littéraire post-apocalypse, type La Route, de Cormac Mc-Carthy. Les violences de rue à Paris déclenchent des questions stimulantes, notamment pour leur couverture médiatique. En revanche la scène du massacre à la station-service frôle le ridicule dans son traitement : notre maître de conférence parisien, baroudeur d’amphis et de bibliothèques, ne ressent qu’une surprise assez détachée devant le spectacle sanglant, n’appelle pas la police, n’y songe même pas. Il a besoin d’essence, il essaie de se servir, n’y parvient pas, repart. D’un point de vue romanesque, le lecteur est envoyé sur une fausse piste qui reste inexploitée ensuite: va-t-il trouver de l’essence ? Devra-t-il continuer à pied en milieu hostile ? En fait il n’est plus jamais question d’essence, ni même de la voiture pourtant décrite avec autant de convoitise que le c.. – euh, corps de sa jeune maîtresse.

J’ai modérément apprécié l’agitation d’épouvantails qui ponctue régulièrement le récit, tout comme les interminables analyses politico-PMU-logiques. Entre ses commentaires de comptoirs et quelques scènes assez crues qui concrétisent des aspirations amoureuses minimalistes, François devient plutôt ennuyeux.

Là où l’attention renaît tout de même, c’est dans l’ambiguïté qui finit par pointer.

Effectivement François va se soumettre : le conditionnel de la fin relève à mon avis d’un discours indirect libre traduisant le fil de ses pensées, plutôt que d’une incertitude sur l’avenir. Il commence du reste par un acte fondateur – ou fossoyeur : se renier en trahissant Huysmans dans son édition pour La Pléiade. Tout étant raconté du point de vue de François, le lecteur ne peut apparemment qu’en prendre acte, sans réponse d’ordre moral s’il interpelle le texte.

Quoique… Vers la fin, Houellebecq semble se décaler de la narration, qui devient discrètement moins neutre qu’il y paraît de prime abord. François pourrit de l’intérieur, tout de même,  tel que le suggère le récit de ses mycoses et autres infections. Et si l’on remonte à rebours du récit, c’est le cas de le dire, on finit par s’interroger sur certains détails: la 4/4 cross-over magnifique, les alcools raffinés, les plaisirs un peu faisandés… un art de vivre virant à la décadence. Certes le héros tâte du spirituel lors d’une courte retraite monastique, mais point de rédemption à la Huysmans, car sa vie religieuse prend un tout autre virage : après une surprise vaguement admirative devant ses collègues âgés ou peu engageants qui ont déjà sauté le pas, c’est toute honte bue qu’il choisit d’embrasser la religion musulmane pour y gagner au moins deux épouses - chair fraîche et « pot-au-feu »…

En fin de compte, peut-être  le cynisme affiché par le héros se trouble-t-il d’un message en ombre portée, par lequel Houellebecq peut invoquer un second degré de la démonstration…

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Commentaires
V
On a du mal à le lire comme un roman: oui, tu as bien épinglé cette première ambiguïté du livre, qui tire beaucoup de charme de ces moments où le lecteur hésite, perd ses appuis habituels. <br /> <br /> Peut-être as-tu également raison de prendre au sérieux les projections politico-religieuses du héros, ou en tout cas le propos de MH derrière lui: après tout, dans "La possibilité d'une île", ce dernier décrit déjà ce que pourrait devenir notre société. J'y ai peut-être été peu réceptive parce que le basculement paraît brusque, rapide et que ses motivations sont assez grossières: les femmes à la cuisine et au lit, les hommes au plein emploi, des salaires élevés grâce au pétrole.<br /> <br /> Peut-être MH reproduit-il une intuition, "gros grain" sans doute, mais qui mérite qu'on s'y arrête. En effet, on a le sentiment que notre monde est en recherche de sens et de spiritualité, voire d'un ordre supérieur reposant les individus d'une discipline morale auto-imposée... <br /> <br /> Les "vieilles" religions occidentales suivent avec difficulté les élans sociétaux. "Bénir ou ne pas bénir les unions homosexuelles" versus "exciter l'imaginaire par des fantasmes qui vont des Mille et une nuit à l'exaltation inhumaine (transcendées?) des guerres de religion - la nuit mystérieuse des noces mystiques, le soleil implacable qui sèche le sang des cadavres jonchant le désert.<br /> <br /> C'est assez inquiétant - moi non plus, je n'ai ni nostalgie ni aspiration de la sorte. <br /> <br /> D'un point de vue féminin - féministe, cela ne m'enchante guère non plus... tu t'en doutes.
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V
Le problème avec ce roman, c’est qu’on a du mal à le lire comme un roman. C’était un peu vrai pour les précédents textes de l’auteur avec ce soin malin qu’il a de mélanger personnages fictifs et « réels », allant parfois jusqu’à mettre sa propre mort en scène comme dans le dernier… Là évidemment, c’est encore plus vrai avec cette façon étonnante qu’il a de coller à notre quotidien et à notre actualité. Ceci étant, c’est bien de fiction qu’il s’agit et c’est d’abord comme cela qu’il faut lire ce texte, en se demandant s’il est bon, ou pas, en tant que proposition romanesque. Pour ma part, comme vous deux (mais visiblement l’une a été plus séduite que l’autre), j’ai lu ce roman avec plaisir et j’y retrouvé une part de ce que j’aime chez l’auteur : l’humour, d’abord, la dérision de soi-même, un goût évident pour une provocation qui n’est pas gratuite et… un art consommé de l’ambiguïté ! Pâquerette parle à juste titre de fable cynique ; j’y verrai volontiers une farce politique, une sorte de « sotie » à la manière du Gide (autre grand provocateur) des Caves du Vatican. <br /> <br /> Une des grandes questions, que les commentateurs ne se sont pas assez posée, c’est celle de la position de l’auteur par rapport à son personnage. Oui, comme vous le dites très bien toutes les deux, cette soumission est une lâcheté et en dépit (ou à cause de) la ressemblance sur certains points entre François et MH, rien n’indique que le personnage soit le porte-parole de l’auteur… Et le conditionnel final (qui, pour moi, n’est pas un style indirect libre) est le symptôme d’une ambiguïté avec laquelle le lecteur est contraint de se débrouiller.<br /> <br /> Là où en revanche, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vos analyses, c’est que je pense que les « analyses polito-PMU » que regrette Véranne, sont au cœur de la problématique romanesque et la décadence – ou son obsession - est le vrai sujet du roman. Ce qui est annoncé ici est le déclin voire la mort d’une civilisation européenne qui a peut-être fait son temps comme d’autres dans l’Histoire… De ce point de vue, la scène capitale du roman, c’est le « pèlerinage » du personnage à Rocamadour. Exit le temps de la Chrétienté triomphante. Réac ? Bêtement « identitaire » ? Pas forcément. Peut-être tout simplement (?) l’idée vertigineuse que, comme les individus, les civilisations sont mortelles et sic transit gloria mundi… Mais alors pourquoi l’Islam comme produit de substitution ? … Peut-être parce que, pour le meilleur et trop souvent le pire, ça reste la proposition la plus structurée, la plus affirmée, et donc la plus rassurante (?) dans un monde où le scepticisme (nécessaire !) est majoritaire…Dans un Libé de cette semaine, Todd (dont je ne partage pas par ailleurs les analyses) dit qu’il y a en ce moment en France « un inconscient collectif qui cherche dans l’Islam un substitut du catholicisme qui ne peut plus servir »… Si on pousse un peu plus loin, on pourrait presque en arriver à dire que l’islamophobie ambiante ... est l’expression paradoxale d’un désir refoulé de spiritualité, d’un « ordre » spirituel que nos certitudes d’hier (religieuses ou politiques) ne nous donnent plus. Et si la « soumission » houellebecquienne était l’expression de cette nostalgie (dont je précise qu’elle n’est pas la mienne) et de ce désir ?
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V
Elégance de la paresse, paresse élégante - humour saumâtre, désenchantement, oui, tes mots font mouche. Làcheté, jusqu'où peut-on se corrompre soi-même, cynisme, cela sonne bien comme certaines thématiques récurrentes chez MH. Comme toi, je trouve intéressante l'anticipation de ce que pourrait un retour de la religion dans nos modes de vie ordinaires. Dans ce cas précis, la caricature gêne un peu le développement d'une réflexion, tout de même.<br /> <br /> Je viens de lire un article au sujet des Mormons de Salt Lake City, dont l'église a abaissé de 21 à 19 ans l'âge autorisé pour que les jeunes partent comme missionnaire. De 2007 à 2014, le pourcentage de femmes missionnaires parmi chaque cohorte a plus que doublé (de 13 à 28%), et comme les frais de "voyage" sont à la charge des jeunes, ce sont les études (cher payées) qui en pâtissent en première intention. Au retour, si les garçons reprennent les études et se marient, les filles en se marient et.. s'occupent des enfants. Apparemment les stats de diplomation et de montant des salaires ont nettement défavorables aux femmes en Utah par rapport aux femmes du reste du pays.<br /> <br /> Parfois pourquoi je me demande pourquoi je suis anticléricale, voire antireligion, et parfois, les réponses m'arrivent directement sur un plateau...
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P
C'est le premier Houellebecq que je lis ! J'ai été motivée par la relation à Huysmans, auteur que j'affectionne. Il y avait dans la comparaison de deux conversions et de deux décadences matière à un grand livre. <br /> <br /> Or, Houellebecq a été un peu paresseux. Les idées magnifiques du romancier : anticipation sociétale, tableau de la décadence, rapport entre littérature et société, sont esquissées par un désenchanté. La paresse lui tient quelquefois lieu d'élégance, certes, mais si ça pouvait ne pas être tout le temps...<br /> <br /> Je suis d'accord avec toi sur le ratage du récit de l'équipée "road movie"... Même si le côté détaché du héros qui passe à côté des événements, même les plus graves, comme s'ils ne le concernaient pas, correspond au personnage. <br /> <br /> Le parallèle avec Huysmans est décevant, pas assez fouillé. Pourtant quelle source de réflexion ! Là où, fin XIXème, la religion catholique, en particulier par le biais de l'art, pouvait encore inspirer un écrivain au bout du rouleau, aujourd'hui notre héros n'est inspiré que par un "carpe diem" musulman possible, dès lors qu'il lui permet d'avoir un travail et des femmes. <br /> <br /> Il ne s'agit plus d'une idée philosophique de la décadence, mais d'un choix opportuniste. Face à la tentation du suicide devant le vide abyssal - affectif surtout - de sa vie, le héros choisit la solution qui lui laisse juste une petite ouverture sur un possible hédonisme, encore. <br /> <br /> Plus qu'une histoire de la décadence c'est une histoire de la lâcheté : celle de celui qui entre deux maux choisit le moindre,au risque de s'aliéner. Mais n'est-ce pas son problème ? Comme le suicide dont c'est un avatar, c'est son choix.<br /> <br /> Tu as bien vu le "pourrissement" dont est atteint François, pourrissement qui suivra son chemin jusqu'au bout. <br /> <br /> C'est une fable cynique, très agréable à lire, qui distille un humour saumâtre qui semble être la marque de fabrique de l'auteur. Tout cela dans un style dilettante qui donne l'impression du style 0, qui accompagne bien notre personnage au bout de son désenchantement.<br /> <br /> Après, je ne crois pas que la levée de boucliers contre Houellebecq à propos de l'Islam était méritée. C'était intéressant de tenter l'anticipation d'une politique islamique "modérée" en occident. <br /> <br /> Mais cela reste esquissé, au service du vrai sujet : jusqu'où peut-on se corrompre soi-même ? Une certaine forme d'aliénation guérit-elle du malheur d'être soi ?...Vrai sujet pas assez développé.
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