Michel Houellebecq: Soumission
J’ai acheté Soumission à l’origine pour marquer mon soutien à Charlie, et Houellebecq dans la foulée : liberté d’expression, liberté d’expression !
J’imaginais sans l’avoir lu que Soumission serait provocateur et mettrait son auteur en danger. Du reste Michel Houellebecq a effectivement gardé profil bas après l’attentat.
Avec le recul, le risque éventuel aurait pu venir de multiples bords. Mais globalement l’ouvrage n’est pas un brûlot. S’il joue sur des peurs primaires, son intrigue reste assez plate, peut-être trop ligotée par son ancrage dans notre actualité quotidienne. Tout est si proche que le décor et les développements sont principalement interrogés en référence à notre société. L’imaginaire du lecteur reste bridé.
Les trente premières pages sont pourtant écrites à l’acide. On retrouve l’inventivité sans faille de sa misogynie, inscrite dans une auto-dérision cruelle. Le héros, François, est sans illusion sur rien, à commencer par lui-même. Sa grandeur, car il est un chercheur reconnu, réside dans sa thèse sur Huysmans, l’auteur qui accompagne son récit. A Rebours donne les repères qu’utilise François pour déchiffrer le monde et diriger sa vie, dans un très beau compagnonnage.
Le souci vient cependant lorsque le roman hésite au bord de la littéraire post-apocalypse, type La Route, de Cormac Mc-Carthy. Les violences de rue à Paris déclenchent des questions stimulantes, notamment pour leur couverture médiatique. En revanche la scène du massacre à la station-service frôle le ridicule dans son traitement : notre maître de conférence parisien, baroudeur d’amphis et de bibliothèques, ne ressent qu’une surprise assez détachée devant le spectacle sanglant, n’appelle pas la police, n’y songe même pas. Il a besoin d’essence, il essaie de se servir, n’y parvient pas, repart. D’un point de vue romanesque, le lecteur est envoyé sur une fausse piste qui reste inexploitée ensuite: va-t-il trouver de l’essence ? Devra-t-il continuer à pied en milieu hostile ? En fait il n’est plus jamais question d’essence, ni même de la voiture pourtant décrite avec autant de convoitise que le c.. – euh, corps de sa jeune maîtresse.
J’ai modérément apprécié l’agitation d’épouvantails qui ponctue régulièrement le récit, tout comme les interminables analyses politico-PMU-logiques. Entre ses commentaires de comptoirs et quelques scènes assez crues qui concrétisent des aspirations amoureuses minimalistes, François devient plutôt ennuyeux.
Là où l’attention renaît tout de même, c’est dans l’ambiguïté qui finit par pointer.
Effectivement François va se soumettre : le conditionnel de la fin relève à mon avis d’un discours indirect libre traduisant le fil de ses pensées, plutôt que d’une incertitude sur l’avenir. Il commence du reste par un acte fondateur – ou fossoyeur : se renier en trahissant Huysmans dans son édition pour La Pléiade. Tout étant raconté du point de vue de François, le lecteur ne peut apparemment qu’en prendre acte, sans réponse d’ordre moral s’il interpelle le texte.
Quoique… Vers la fin, Houellebecq semble se décaler de la narration, qui devient discrètement moins neutre qu’il y paraît de prime abord. François pourrit de l’intérieur, tout de même, tel que le suggère le récit de ses mycoses et autres infections. Et si l’on remonte à rebours du récit, c’est le cas de le dire, on finit par s’interroger sur certains détails: la 4/4 cross-over magnifique, les alcools raffinés, les plaisirs un peu faisandés… un art de vivre virant à la décadence. Certes le héros tâte du spirituel lors d’une courte retraite monastique, mais point de rédemption à la Huysmans, car sa vie religieuse prend un tout autre virage : après une surprise vaguement admirative devant ses collègues âgés ou peu engageants qui ont déjà sauté le pas, c’est toute honte bue qu’il choisit d’embrasser la religion musulmane pour y gagner au moins deux épouses - chair fraîche et « pot-au-feu »…
En fin de compte, peut-être le cynisme affiché par le héros se trouble-t-il d’un message en ombre portée, par lequel Houellebecq peut invoquer un second degré de la démonstration…