Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'escabelle
L'escabelle
Publicité
L'escabelle
Newsletter
Archives
6 octobre 2019

Abgrund, Maja Zade, Thomas Ostermeier, Théâtre Scène Nationale Les Gémeaux, Sceaux.

Abgrund m'a laissé un sentiment de malaise persistant, une envie de répliquer à ses implicités culpabilisateurs ainsi qu'à la mise en scène.

Thomas Ostermeier, à qui l'on doit des mises en scènes extraordinaires aux Gémeaux au fil des ans, choisit ici de nous équiper de casques pour écouter les dialogues et d'éloigner les acteurs en les séparant du public par une toile très légère sur laquelle sont projetées des images de temps à autre. Claudel écrivait à propos du théâtre "il y a la scène et la salle". Hier soir, il y avait en plus la technologie numérique littéralement entre les spectateurs et les acteurs. Les spectateurs deviennent témoins distanciés, perdent leur proximité sensorielle, le ressenti physique souvent associé au théâtre. Même en enlevant les écouteurs pour ne suivre les dialogues que par le surtitrage (la pièce est en allemand), on ne retrouve pas la sensation (sans doute parce qu'alors les dialogues sont inaudibles). C'est peut-être pour nous les montrer comme derrière une glace dans une expérience de laboratoire... ? Un peu de frustration cependant. On se serait cru au cinéma, par moment, voire devant son écran de télévision.  Le théâtre n'avait-il pas la force d'accompagner la pièce ?  

La pièce se déroule en deux temps lors d'un dîner entre amis, avant et après un événement insoutenable. Très très longuement, la conversation roule sur des sujets divers, amusante, superficielle, égocentrée. On est dans les codes sociaux des "bo-bo". Cuisine "laboratoire", instruments en acier brossé, préoccupations de gens aisés : le vin, les plats, le bio, ou bien quelques mots d'esprit en décalage assumé avec l'actualité. Ils ne semblent pas avoir d'épaisseur - on ignore leurs liens, quelle part ils prennent dans le fonctionnement social. A la longue - au moins une heure de bribes de conversations, la pièce procure un sentiment de futilité, de vacuité, d'égoïsme (me semble-t-il). Puis drame absolu - je ne spoile pas - mais une horreur. Ensuite une bascule en avant - en arrière :  avant le drame , quand personne ne se doutait de ce qui allait se passer , puis après coup, son onde de choc, avec des arrêts image sur la prostration d'un personnage ou la crise nerveuse d'un autre - glissade en arrière, comme si on s'accrochait à l'insouciance des minutes d'avant, et à nouveau chute dans le présent terrible. L'incapacité à gérer, l'abîme qui s'ouvre sous les pas. Les personnages continuent leur dialogue désespérément vide, sauf les deux victimes qui sombrent dans le mutisme.

Et nous, les spectateurs, un peu dans la sidération.. On est là comme des entomologistes avec notre instrumentation scientifique à observer six spécimens de bobos. Comme il n'y a aucune intrigue, aucune épaisseur chez ces figures, peut-on finir par conclure que la vacuité des propos les définit aussi ? Puis nous subissons la violence du drame, qui forcément fait écho à des angoisses que nous partageons tous plus ou moins. Pourquoi cette agression ? Pour nous tendre le miroir au cas où nous n'aurions pas compris avant qu'il fallait sortir le nez de son nombril ?  Ils sont punis parce qu'ils sont creux (et nous aussi, sans doute) ? Pour rester dans les caractéristiques apparentes d'une classe sociale, pourquoi ne pas montrer un diner chips-bière devant un match de foot ? Et là, quel aurait été le message ? 

Beaucoup de questions... 

 

Publicité
Commentaires
Publicité