Trois Femmes Puissantes
Trois Femmes Puissantes, de Marie Ndiaye, est un recueil de trois nouvelles où règne la présence décisive d'une femme, différente à chaque intrigue. Une lecture incomparable pour moi, qui n'avait jamais rien connu de tel auparavant.
Pour la première nouvelle, l'effet de surprise a été total, dans le vertige d'une une perte de repères. Pour trouver une logique, le lecteur ne peut se raccrocher qu'au personnage principal, Norah, dont une sorte de monologue intérieur en discours indirect révèle l'histoire. Le texte suit le fil de ses pensées, associations d'idées, souvenirs, mais aussi de ses perceptions, de ses émotions, et dévoile une vie intérieure aux images troublantes, où l'humain, l'animal, le végétal se répondent, se fondent en un monde inquiétant. Il y a de l'envoûtement, du vénéneux dans ces relations. En même temps, Norah mène son enquête, reconstitue, reconstruit, glissant d'un tableau à l'autre d'un pas qui petit à petit trouve son assurance.
Cette nouvelle, comme les deux autres, se termine par un contrepoint, le point de vue bref d'un autre personnage, qui vient sceller l'histoire, lui apporter confirmation et une forme de plénitude.
L'histoire de Norah a été ma préférée: une jeune femme ayant laissé sa famille recomposée à Paris pour rejoindre au Sénégal son père qui l'a suppliée de venir, découvre une situation familiale critique. Très inquiète pour sa fille, qu'elle a confiée à un beau-père dont elle se défie maintenant, elle est également destabilisée par des retrouvailles douloureuses avec un père autant redouté que détesté - à bon droit. L'histoire elle-même se démêle comme un roman policier, les souvenirs évoqués venant petit à petit dénouer les échecs du présent. La description des sentiments et émotions parfois contradictoires entre eux est un vrai bonheur, les trahisons du corps, les peurs d'enfant, la lente progression vers une réconciliation sont observées avec des mots surprenants, d'une autre culture, et qui touchent miraculeusement juste.
Les deux autres nouvelles sont écrites dans le même style, mais ne m'ont pas m'absorbée autant. Dans la seconde, un homme est sauvé de la déchéance, remontant la pente par amour pour son épouse. On y suit un personnage désorienté, en lutte avec lui-même, avec là encore une justesse psychologique presque douloureuse tant on s'y retrouve parfois. Le style imagé m'a en revanche paru légèrement décalé par rapport au personnage.
La troisième nouvelle décrit l'itinéraire d'une Africaine abandonnée par les siens et qui cherche le salut dans un itinéraire de martyre, presque de sainte, vécu sans distance. Sur le plan fictionnel, elle m'a mise mal à l'aise, parce que le lecteur est pris à témoin, incité à admirer la patience et la résilience de l'héroïne, qui suit sa voie sans haine ni rancune et cherche simplement à vivre. J'aurais sans doute aimé qu'elle se rebelle un peu plus, qu'elle quitte cette innocence pour gagner en maîtrise sur les événements. Mais sa puissance est d'accepter sans pour autant subir, à garder son intégrité et sa coïncidence à soi, et avec elles, sa dignité.