Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'escabelle
L'escabelle
Publicité
L'escabelle
Newsletter
Archives
23 avril 2010

Trois Femmes Puissantes

Trois Femmes Puissantes, de Marie Ndiaye, est un recueil de trois nouvelles où règne la présence décisive d'une femme, différente à chaque intrigue. Une  lecture incomparable pour moi, qui n'avait jamais rien connu de tel auparavant.

Pour la première nouvelle, l'effet de surprise a été total, dans le vertige d'une une perte de repères. Pour trouver une logique, le lecteur ne peut se raccrocher qu'au personnage principal, Norah, dont une sorte de monologue intérieur en discours indirect révèle l'histoire. Le texte suit le fil de ses pensées, associations d'idées, souvenirs, mais aussi de ses perceptions, de ses émotions, et dévoile une vie intérieure aux images troublantes, où l'humain, l'animal, le végétal se répondent, se fondent en un monde inquiétant. Il y a de l'envoûtement, du vénéneux dans ces relations. En même temps, Norah mène son enquête, reconstitue, reconstruit, glissant d'un tableau à l'autre d'un pas qui petit à petit trouve son assurance.

Cette nouvelle, comme les deux autres, se termine par un contrepoint, le point de vue bref d'un autre personnage, qui vient sceller l'histoire, lui apporter confirmation et une forme de plénitude.

L'histoire de Norah a été ma préférée: une jeune femme ayant laissé sa famille recomposée à Paris pour rejoindre au Sénégal son père qui l'a suppliée de venir, découvre une situation familiale critique. Très inquiète pour sa fille, qu'elle a confiée à un beau-père dont elle se défie maintenant, elle est également destabilisée par des retrouvailles douloureuses avec un père autant redouté que détesté - à bon droit. L'histoire elle-même se démêle comme un roman policier, les souvenirs évoqués venant petit à petit dénouer les échecs du présent. La description des sentiments et émotions parfois contradictoires entre eux est un vrai bonheur, les trahisons du corps, les peurs d'enfant, la lente progression vers une réconciliation sont observées avec des mots surprenants, d'une autre culture, et qui touchent miraculeusement juste.

Les deux autres nouvelles sont écrites dans le même style, mais ne m'ont pas m'absorbée autant. Dans la seconde, un homme est sauvé de la déchéance, remontant la pente par amour pour son épouse. On y suit un personnage désorienté, en lutte avec lui-même, avec là encore une justesse psychologique presque douloureuse tant on s'y retrouve parfois. Le style imagé m'a en revanche paru légèrement décalé par rapport au personnage.

La troisième nouvelle décrit l'itinéraire d'une Africaine abandonnée par les siens et qui cherche le salut dans un itinéraire de martyre, presque de sainte, vécu sans distance. Sur le plan fictionnel, elle m'a mise mal à l'aise, parce que le lecteur est pris à témoin, incité à admirer la patience et la résilience de l'héroïne, qui suit sa voie sans haine ni rancune et cherche simplement à vivre. J'aurais sans doute aimé qu'elle se rebelle un peu plus, qu'elle quitte cette innocence pour gagner en maîtrise sur les événements. Mais sa  puissance est d'accepter sans pour autant subir, à garder son intégrité et sa coïncidence à soi, et avec elles, sa dignité.

Publicité
Commentaires
V
Effectivement, "nouvelle" n'est pas satisfaisant. Mais d'un autre côté, les liens sont si ténus entre les 3 parties... Il est vrai que l'auteur relie l'ensemble comme un "roman".<br /> Ce qui m'a gênée dans la seconde, et que j'appelle (terme impropre) un style "imagé", c'est le vocabulaire très chargé dans le registre moral: des formules comme "l'entière honnêteté de son coeur, la plénitude de son honneur"; "la flétrissure de Rudy... devenir un homme estimable et aimé" "le juge de sa disgrâce"... Ces termes m'évoquent des images d'une France révolue depuis 1968. Est-ce que l'on pense avec ce vocabulaire là, aujourd'hui? («aujourd'hui», puisqu'il achète du pain et du jambon pour une somme en euro)<br /> Il m'a paru un peu forcé.. Mais on peut estimer qu'il contribue au profil du personnage...<br /> En revanche, j'ai bien aimé en italiques les citations sans doute extraites d'ouvrages médiévaux qui montaient spontanément à son esprit.<br /> Et sinon, bien d'accord avec toi sur la puissance de la femme aimée, dont la pensée l'accompagne dans son périple.
Répondre
V
Bien d'accord avec toi pour trouver que la première "nouvelle" (mais peut-on parler de nouvelle, justement ? il y a de subtils systèmes d'écho entre les trois... parties ?) est la plus belle. Cependant, j'ai beaucoup aimé aussi la seconde (et la troisième !), avec cet homme qui ne se ressemble pas, qui ne se ressemble plus.Il est en effet difficile d'imaginer au début cet intellectuel rongé par la culpabilité que nous découvrons peu à peu dans le personnage déplaisant qui se donne à voir,avec une délectation absolue dans le dénigrement de soi. Mais que veux-tu dire par "style imagé"?. En tout cas, cette femme qui par sa présence silencieuse lui redonne vie est bien la plus "puissante"...
Répondre
Publicité