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L'escabelle
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29 avril 2010

Vanités au Musée Maillol

L'exposition "C'est la vie! Vanités de Caravage à Damien Hirst" qui se donne au musée Maillol jusqu'en juin m'a énormément intéressée.

Première originalité: elle commence par les oeuvres contemporaines, sans doute un excellent moyen de nous faire ressentir au plus immédiat de notre sensibilité les problématiques de la mort, avant de nous faire petit à petit remonter le temps, rencontrer d'autres esthétiques, d'autres contextes idéologiques sans perdre le fil.

Une autre raison pour cette inversion chronologique pourrait être que certaines réalisations modernes, un peu minimalistes, n'ont pas l'intensité d'un Zurbaran, ni la sophistication d'un Georges Braque et, placées en fin de parcours, passeraient peut-être tout au plus pour de bonnes trouvailles (un crâne en mouches séchées et résine, par exemple). Il n'empêche que leur message, même simple et assez univoque, est  toujours bon à prendre, et les supports intéressants.  J'ai particulièrement apprécié "Gants-Têtes" d'Annette Messager où des mitaines traversées de crayons de couleurs hérissés esquissent une forme de tête de mort, évoquant des terreurs, enfantines ou non.

Ce ce qui s'exprime depuis le XXème semble plutôt lié à la peur de sa propre mort, la portée morale du "memento mori" des oeuvres antérieures s'étant dissipée petit à petit. Il n'est plus guère à la mode de donner des leçons ni de juger son prochain.

L'oeuvre la plus ancienne de l'exposition est un fragment de mosaîque polychrome retrouvée à Pompéi, datant de la première moitié du 1er siècle. Il s'agissait d'un dessus de table placé entre deux tables de banquet, tandis que son pendant dans la même pièce représentait une joyeuse danse de squelettes sur le mode "Carpe Diem" (cueille le jour - avant que ce ne soit la Mort qui te cueille à son tour).

Mosa_que_Pomp_i

Je ne savais pas que le thème avait été exploré si tôt: au niveau de charpentier avec son fil à plomb central sont accrochés d'un côté un sceptre et la pourpre du pouvoir, et de l'autre un bâton et des hardes de mendiant. Le crâne (curieusement pourvu d'oreilles) qui s'inscrit sous le triangle nous rappelle le proverbe latin (omnia mors aequat: la mort rend tout égal), tandis que le papillon paraît-il symbolise l'âme (et pourquoi pas l'éphémère? ou la transmutation des êtres?) et que tourne la roue de la Fortune.
Les oeuvres suivantes obéissent souvent à la convention de montrer un crâne, une chandelle se consumant (le temps qui passe), un livre (connaissances illusoires),  des denrées vouées à la putréfaction (bonne chère, fleurs..) Ne nous abandonnons pas aux plaisirs, ne nous étourdissons pas de pouvoir, ne nous illusionnons pas sur la puissance de nos artefacts: la mort remet tout en perspective, tel est le message.

Un peu dégrisant, certes, mais les secours de la religion ne sont généralement pas loin. Pour certaines oeuvres en revanche, le message est plus désespéré:

Braque

Dans son tableau L'Atelier au Crâne, Braque peint une palette et des tubes à la place des fleurs ou des fruits: est-ce seulement à sa propre mort qu'il pense? ou bien cet art que l'on pense généralement immortel, traversant les générations, le trouve-t-il éphémère et impuissant, l'expression fragile d'une spiritualité mise en échec?

L'exposition recèle aussi des curiosités, notamment des collections de bijoux modernes alliant or, diamants et autres fantaisies ruineuses pour figurer des crânes et squelettes.

Terminons sur le Saint François Agenouillé de Zurbaran, qui semble face à son double, comme si le crâne revenait en miroir, dans une interrogation qu'il me plaît d'imaginer réciproque. Saint François entoure le crâne d'un geste attentif, que l'on associe souvent à la réflexion, quand on se prend soi-même la tête à deux mains. En quelque sorte, il se réfléchit... Les jeux de lumière laissent la pensée vagabonder aussi. Ce tableau possède une puissance intemporelle, tout inscrit qu'il soit dans son siècle.

Zurbaran

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Commentaires
P
La morale s'exprime beaucoup moins comme dans le passé où elle se teintait de religion, sur les choix de comportements individuels (souvent liés aux comportements sexuels) : chacun est libre de ses choix tant qu'il respecte la loi. <br /> Les prises de positions, par exemple contre le mariage homosexuel, ne relèvent pas de la morale, à mon sens.<br /> En revanche la morale classique s'est déplacée sur les grandes questions d'éthiques communes à une société : bioéthique, développement durable, euthanasie, rôle des médias...On parle même de moraliser le capitalisme, non ?<br /> Autrement dit, chacun en concience est libre de son comportement s'il est en accord avec la loi, mais s'interroge sur les enjeux qui définiront notre futur.<br /> Donc non, je ne trouve pas l'époque moraliste, parce que je trouve que le terme n'est plus vraiment approprié aujourd'hui.<br /> Pour le reste, éthiquement concernée, oui.
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V
Oui, c'est vrai Pâquerette, que sans cesse on glisse d'un sens à l'autre. <br /> Et toi, trouves-tu l'époque moraliste?
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P
La tolérance...Voici un mot dont le sens a bien changé selon les contextes. A l'époque de l'Edit de Nantes, on tolère les protestants (= on les supporte), à celle de Voltaire il s'applique aux droits de l'homme, plus tard aux maisons de prostitution.<br /> C'est un terme dont je me méfie : "oui, je vous tolère : faites ce que vous voulez tant que ça ne m'empêche pas de vivre comme je l'entends."<br /> Tolérer n'est ni comprendre, ni accepter : c'est juste supporter à côté de soi ce qu'on ne veut pas pour soi.
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V
Il y a parfois plus d'indifférence et de donnant-donnant que de vraie tolérance, je te l'accorde... Mais dans les deux cas, on a tendance à s'abstenir de condamner de manière moralisatrice. Par exemple, tel artiste qui est atteint du sida ne sermonne pas les autres: il exprime seulement ses sentiments par rapport à sa propre disparition qu'il estime proche.<br /> Pourquoi trouves-tu l'époque très moraliste? As-tu des exemples présents à l'esprit?
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V
Ce que tu décris, Véranne, n'est-ce pas davantage du relativisme moral qu'un véritable sens de la tolérance... "fais comme tu veux et/en contrepartie laisse-moi faire à ma guise", telle semble être la devise de l'individualisme contemporain...La "vraie" tolérance ne suppose-elle pas un véritable effort de compréhension (ce qui ne veut pas dite adhésion) de ses motivations - mais dans le cadre d'une éthique collective, avec des valeurs communes, auxquelles chacun souscrit ? (ce qui fait qu'au fond, on ne peut pas "tout" tolérer...) C'est un contrat, pas un donnant-donnant...
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