Pourquoi être heureux quand on peut être normal?
Cet ouvrage est une autobiographie de Jeannette Winterson, identifiée dans les magazines comme une icône du féminisme anglais – permettez-moi d’avouer mon ignorance à ce sujet. Du reste c’est un peu par hasard que je l’ai découvert, étant à l’origine partie chercher Les Débutantes pour une amie hospitalisée à qui je destinais une lecture divertissante. Et puis une vendeuse m’a convaincue de prendre celui-ci à la place, manifestement encore sous l’émotion de la lecture, et ensuite mon amie me l’a prêté en retour, elle aussi très remuée – et depuis je l’ai offert à Pâquerette sous sa tonnelle qui fleure bon le chèvrefeuille au petit-déjeuner…
L’histoire est résumée dans toutes les critiques : JW raconte son enfance de bébé adopté par un couple Pentecôtiste et surtout une femme terriblement névrosée, son adolescence décalée des attentes familiales, un paroxysme dans les traumatismes infligés, la fuite et la reconstruction, la rencontre avec sa mère biologique et sa fratrie. Avec une intrigue pareille, on pourrait s’attendre au pathos et au mélodrame. Pourtant le texte évite cet écueil.
L’ouvrage démarre avec un humour caustique, cette dérision que manient si bien les Anglais pour se tourner eux-mêmes en ridicule et couper l’herbe sous le pied des témoins. JW nous campe en même temps un tableau éclairant de l’Angleterre ouvrière des années 70. Progressivement sa plume semble s’animer d’une vie propre cependant, pour quitter une narration chronologique et par digressions, effets de loupe, arrêts sur une réflexion, retour cinglant sur un épisode confondant, épanche les souvenirs, décrit les épreuves comme un peintre se livre sur sa toile offerte aux regards. Curieusement, la distance s'amincit entre auteur et lecteur, petit à petit touché dans son intimité propre. Très émouvante est la fragilité croissante du récit au fur et à mesure qu'il se rapproche du présent et que l’auteur elle-même hésite, l’avenir n’ayant pas encore livré sa lumière rétrospective.
JW explique comment l’écriture l’a sauvée et nous emporte dans son imaginaire, où les clefs, les pas de porte, les chats, le temps jouent des rôles symboliques et ambigus, comme dans les contes et mythes qu’elle évoque. Elle inspire la méditation chez les lecteurs aussi. Du moins les lectrices – car pour l’instant ce sont des femmes que j’ai vu/lu se prononcer. Je me demande si les hommes y sont également sensibles…