Blue Jasmine
Blue Jasmine commence comme Un tramway nommé désir : une aristocratique jeune femme brisée par la vie et complètement désargentée vient trouver refuge chez sa sœur. Dans le film de Kazan, de noirs secrets finissent par remonter crever la surface dans une moiteur de marais. De son côté, Woody Allen joue de sa palette habituelle pour virevolter d’une situation cocasse à l’autre et tâcher de garder la légèreté du ton. Mais Cate Blanchett rend par intermittences à Blue Jasmine le même vertige mortifère. Après des années d’opulence, la voilà maintenant à la rue, névrosée, à vif, portant Chanel et Vuitton comme autant de balises. Sa sœur Ginger, quant à elle, est caissière, épanouie et heureuse, en couple avec un beau musclé. Le contraste est douloureux, en tout cas pour le spectateur car la déconfiture de Jasmine se double d’une répugnance visible pour l’entourage de Ginger. Cette dernière est de bonne composition, ainsi que Chili, son copain – heureusement.
Woody Allen nous entraîne alors dans un récit qui alterne flash-backs et scènes du présent. Les premiers paraissent plus réalistes que les seconds, qui flottent dans une espèce de distanciation permanente. Les faux-semblants finissent par y prendre tant de place que le décalage conduit à la rupture dans une tectonique brutale. On retrouve en filigrane la thématique de la prostitution, qui empoisonne le film de Kazan, et la fin des deux films est tout aussi violente, même si la bête change de peau.
Mais pour moi la réussite du film n’est pas complète. Le récit au présent me semble trop léger, pas assez maîtrisé. A force d’irréalité, j’ai cru que l’amoureux de Jasmine n’était pas plus diplomate qu’elle décoratrice, par exemple. Le message reste ambigu, Woody Allen paraissant lui-même bien fasciné par les diamants et complaisant pour le luxe. Le jazz entêtant donne une insouciance elle aussi artificielle, sans qu’on sache si c’est vraiment voulu.
Cela n’empêche que le film est agréable à voir. Cate Blanchett notamment est prodigieuse et en réalité on pourrait juste passer la séance à la regarder, l’écouter, frémir avec elle. Elle souffre avec une telle beauté, une telle classe, qu’on voudrait l’accompagner. Sally Hawkins (Ginger) campe un personnage authentique et assumé, emportée un moment par les mirages de sa sœur. Leur dialogue sonne très juste, entre affection et mises au point…