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L'escabelle
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12 novembre 2009

Le Ruban Blanc, Michael Haneke

Commençons directement par un aveu: j'appréhendais le noir et blanc du tournage, craignant un manifeste intellectualiste à la Jean-Luc Godard, ou bien que l'austérité du scénario se renforce d'un étouffement de la lumière. Et puis le film a commencé et je n'y ai plus pensé. Les images sont lumineuses pour l'après-midi du bal champêtre, un baiser échangé dans une carriole, ou sombres parfois, bien sûr, mais d'une maîtrise impressionnante. On s'attarde notamment sur les visages, filmés en gros plan fixe, comme pour les mettre à nu, et parfois impitoyablement.

L'intrigue du film est oppressante. L'amour y a si peu de place que son rayonnement subit révèle tout à coup la noirceur, la mesquinerie, la lâcheté là où, une minute auparavant, n'apparaissait que le simple quotidien d'un petit village industrieux.

Petit à petit apparait le réseau des tensions qui enserrent les villageois: la religion, incarnée par le pasteur, le chantage économique par lequel le Baron tient son monde, le manque d'instruction qui réduit au silence le fils du paysan qui voudrait venger sa mère et n'arrive pas à articuler sa colère, tandis que le père ne sait que frapper le fils et retourne finalement sa violence contre lui-même. Des rapports de force fondés sur la loi du mâle et du père où chacun écrase qui il peut.

Des bourreaux minables, en somme, qui abusent d'une position de force pour harceler des êtres sans défense, comme leurs enfants ou leurs femmes, mais qui se refusent à élucider les vrais crimes. Il est plus facile d'humilier publiquement sa fille pour un chahut dont elle est d'ailleurs innocente, que de se regarder dans le miroir...

Tant pis, heureusement les enfants prendront la relève, voudrait-on penser en admirant ces visages innocents, ces yeux limpides. Et puis petit à petit on comprend la véritable ampleur du problème. Le diagnostic de l'instituteur ne nous surprend même pas - même sans l'avoir deviné nous-mêmes, peut-être. La certitude est montée insensiblement en nous comme l'eau noire d'un cauchemar et à la fin, on comprend qu'il a raison.

J'ai eu l'occasion d'en discuter avec deux jeunes de 16 et 20 ans, qui ont été perturbés par ce film, et ont passé un mauvais moment. Il est vrai que Le Ruban Blanc distille une violence mentale qui le rend presque insoutenable par moment. Mais la beauté des images, la relation lumineuse qui se crée entre la jeune fille et l'insituteur, des scènes comme celles où le plus jeune fils du pasteur offre son oiseau à son père ramènent à la vie et à la possibilité du bonheur.

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Commentaires
V
C'est vrai que les jeunes sont habitués à des déferlements de violence et des bains de sang (plus que nous au même âge), les effrayant finalement moins que les cauchemars issus de leurs propres hantises. C'est très bien vu... Effectivement pas d'échappatoire puisque le spectateur est prisonnier de lui-même, et de ce couloir où il ne peut que fixer la porte. <br /> Cette impuissance caractérise également l'impact de la violence exercée par le père, mentale, malgré la cravache.<br /> On peut comparer avec la scène où le fermier corrige son fils suite à l'incident du pipeau avec le fils du baron: sous le regard de l'épouse, et avec une vision plus large de la chambre, de l'escalier etc <br /> Cette fois-ci, en soufflant dans la flûte de roseau alors que le père a fini par repartir dans l'escalier, le fils affirme sa supériorité sur lui. Il reprend une râclée, mais au fond, il a peut-être davantage le dessus...
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V
Les "jeunes" spectateurs supportent en effet mal ce film et la vision trop désespérante à leurs yeux de l'humanité qu'il leur présente. Mais,comme le dit Gérjac, comment leur en vouloir d'"y" croire encore un peu ?... Il y a en effet dans ce film des scènes d'une violence verbale quasi insoutenable (le médecin et sa gouvernante). Cependant la force de ce film admirable tient moins à ce qu'il montre qu'à la manière dont il le montre et à la re)présentation de la violence physique qu'il nous propose. C'est sans doute ce qui explique que les jeunes spectateurs mais aussi certains plus âgés le supportent mal tant le cinéaste nous force à regarder en face ce que nous voudrions tant ne pas voir. J'en veux pour preuve cette scène magnifique où le pasteur frappe ses enfants à coups de trique. Nous, spectateurs, sommes prisonniers d'un long plan fixe, et nous sommes contraints de fixer pendant de longues secondes une porte derrière laquelle nous savons (nous entendons les cris) que se produit une violence inouïe. Heureusement, le plan/la scène ne dure pas au-delà de ce que nous pourrions supporter. Ce traitement de la violence qui est tout sauf complaisant est inhabituel pour un jeune public habitué à une violence physique frontale, plein champ, qui ne recule devant aucune giclée de sang. Et qui de ce fait se trouve en grande partie déréalisée. Ici, pas d'échappatoire possible, c'est l'imagination du spectateur qui fait le travail et le cinéma sait depuis toujours (mais l'a souvent oublié depuis quelque temps) le pouvoir du hors-champ.C'est dans la conscience du spectateur que naissent les plus beaux monstres ! Cette violence faite au spectateur - qui est une des caractéristiques du cinéma d'Haneke - est évidemment aux antipodes de la complaisance de certains cinéastes qui, sous prétexte de dénoncer la violence, en font un spectacle dont se repaissent trop souvent "nos" enfants...
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V
Welcome back, Gérjac. Le père de la jeune fille est plus libre en effet, et peut-être le seul à manifester un sens de l'humour... Cette scène m'avait tout de même fait grincer des dents pour le manque de délicatesse à l'égard des jeunes gens. L'instituteur n'avait même pas eu le temps de demander sa main à la jeune fille!
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G
Je retrouve beaucoup de mes propres sentiments dans ton commentaire.<br /> <br /> J'ajouterais ce personnage un peu différent, plus libre peut-être, qu'est le père de la jeune fille apprentie gouvernante, qui tout en dirigeant sa famille avec autorité, préfère laisser à sa fille le temps de choisir librement.<br /> <br /> Mais sinon, oui, c'est plutôt l'image d'une société sans solution. Aucune piste constructive n'apparait. L'instituteur apparait plutôt comme un commentateur issu du présent que participant vraiment à l'action. Les quelques révoltes du film sont individuelles et destructives. La baronne, elle pratique la fuite et l'illusion.<br /> <br /> On pense alors à ce qui a suivi cette période, une révolte spartakiste désespérée et vite isolée, puis une montée du national socialisme sans résistance dans le champ idéologique et politique.<br /> <br /> Pas étonnant que ça ne plaise pas aux jeunes. Heureusement, dirais-je même.<br /> <br /> Mais bien sûr, pour nous qui avons un peu vécu, nous savons que dans les ténèbres, il y a toujours un peu de lumière à quoi se raccrocher, et que l'important c'est de l'entretenir. Cette lumière là surgit à de rares moments du film, le baiser et la ballade, l'oiseau ... et dans notre propre horreur.
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D
Bonjour Veranne, merci pour ce billet: tu parles très bien de ce film. En y pensant, le fait que des relativement jeunes spectateurs aient été perturbés ne m'avait pas effleuré. Cela serait intéressant d'avoir d'autres échos sur les réactions des jeunes. Je n'en n'ai pas entendu parler dans la presse. Bonne journée.
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