Le Ruban Blanc, Michael Haneke
Commençons directement par un aveu: j'appréhendais le noir et blanc du tournage, craignant un manifeste intellectualiste à la Jean-Luc Godard, ou bien que l'austérité du scénario se renforce d'un étouffement de la lumière. Et puis le film a commencé et je n'y ai plus pensé. Les images sont lumineuses pour l'après-midi du bal champêtre, un baiser échangé dans une carriole, ou sombres parfois, bien sûr, mais d'une maîtrise impressionnante. On s'attarde notamment sur les visages, filmés en gros plan fixe, comme pour les mettre à nu, et parfois impitoyablement.
L'intrigue du film est oppressante. L'amour y a si peu de place que son rayonnement subit révèle tout à coup la noirceur, la mesquinerie, la lâcheté là où, une minute auparavant, n'apparaissait que le simple quotidien d'un petit village industrieux.
Petit à petit apparait le réseau des tensions qui enserrent les villageois: la religion, incarnée par le pasteur, le chantage économique par lequel le Baron tient son monde, le manque d'instruction qui réduit au silence le fils du paysan qui voudrait venger sa mère et n'arrive pas à articuler sa colère, tandis que le père ne sait que frapper le fils et retourne finalement sa violence contre lui-même. Des rapports de force fondés sur la loi du mâle et du père où chacun écrase qui il peut.
Des bourreaux minables, en somme, qui abusent d'une position de force pour harceler des êtres sans défense, comme leurs enfants ou leurs femmes, mais qui se refusent à élucider les vrais crimes. Il est plus facile d'humilier publiquement sa fille pour un chahut dont elle est d'ailleurs innocente, que de se regarder dans le miroir...
Tant pis, heureusement les enfants prendront la relève, voudrait-on penser en admirant ces visages innocents, ces yeux limpides. Et puis petit à petit on comprend la véritable ampleur du problème. Le diagnostic de l'instituteur ne nous surprend même pas - même sans l'avoir deviné nous-mêmes, peut-être. La certitude est montée insensiblement en nous comme l'eau noire d'un cauchemar et à la fin, on comprend qu'il a raison.
J'ai eu l'occasion d'en discuter avec deux jeunes de 16 et 20 ans, qui ont été perturbés par ce film, et ont passé un mauvais moment. Il est vrai que Le Ruban Blanc distille une violence mentale qui le rend presque insoutenable par moment. Mais la beauté des images, la relation lumineuse qui se crée entre la jeune fille et l'insituteur, des scènes comme celles où le plus jeune fils du pasteur offre son oiseau à son père ramènent à la vie et à la possibilité du bonheur.