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30 août 2010

Stefan Zweig, Le Monde d'Hier

Stefan Zweig a rédigé ce livre autobiographique en 1941, retraçant simultanément les principales étapes de sa vie et l’évolution intellectuelle, politique, sociale de l’Europe depuis 1895. Il restitue ainsi une époque touffue et déconcertante, traversant deux guerres mondiales et un génocide, tout en offrant un témoignage personnel mais pudique, qui ne s’appesantit pas sur les souffrances mais les évoque avec une délicatesse pleine de dignité. Cette retenue n’empêche pas qu’une profonde émotion saisit le lecteur – comment oublier que Zweig s’est suicidé quelques mois après ses dernières pages?

Le Monde d’Hier offre plusieurs entrées : biographie littéraire, description de la société européenne (son échec à s’intégrer dans les milieux londoniens est une merveille d’humour); il se lit parfois comme un roman, de rebondissement en rebondissement. Mais souvent Stefan Zweig semble nous livrer ses réflexions, comme dans une causerie où nous viendrions l’écouter respectueusement. Il exprime également ses interrogations, et notamment la plus poignante (me semble-t-il) : comment les intellectuels de l’époque, malgré leur lucidité et leur activisme, sont-ils restés impuissants devant la montée du nazisme et la deuxième guerre mondiale ?

Stefan Zweig tenait à rester au-delà des luttes partisanes et dans le souci de préserver une pensée impartiale et distanciée, n'a appartenu à aucun parti, ni condamné ou loué telle ou telle doctrine politique.Pendant la montée du nazisme, alors que Stefan Zweig avait correctement diagnostiqué le destin des Juifs (et qu’il avait cherché à prévenir ses amis par quelques visites éclairs en Autriche, lors de conversations privées), à quoi s’occupe-t-il publiquement? A rédiger une biographie de Marie Stuart… Pour preuve de la barbarie d’Hitler qui s’acharnait sur lui, Zweig va même jusqu’à expliquer que pourtant nulle ligne n’avait pu être détectée dans toute son œuvre où il aurait dénigré son pays, ou un régime quelconque - neutralité qui lui a valu certaines critiques, notamment de Romain Rolland, pourtant son ami.

Pour s'explique, et même se justifier, Stefan Zweig renvoie à sa biographie d'Erasme, où en filigrane c'est souvent aussi de lui-même qu'il parle. "Les sujets que traite avec maîtrise un esprit impartial ne peuvent que sembler nouveaux à une société prisonnière de ses idées surannées. Et celui dont la pensée est indépendante pense non seulement d'une façon plus juste, mais aussi pour le plus grand profit de tous".

Il ne suffit pas de penser clairement et librement pour influencer le cours des choses, malgré tout.... Du reste si Zweig décrit la vie d'Erasme (entre autres) plutôt que de se restreindre à ses seules idées, c'est sans doute que les actes comptent, que l'action ne se réduit pas aux raisonnements... Mais comment agir "juste" sans se salir les mains, ni s'aveugler ... ?

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Commentaires
V
Je m'aperçois que je n'ai pas répondu du tout sur l'émotion profonde que tu as ressentie, ou les rapprochements que tu effectues, glissant même directement sur un autre sujet. Difficile pour moi, en fait, de trouver les mots adéquats... C'est très émouvant.
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V
Depuis je suis en train de lire Erasme, où Zweig décrit et analyse l'humanisme dans sa grandeurs et ses failles, à la fois avec le souci de l'exactitude et de l'intérêt historiques, et le regard d'un homme du XXème qui analyse cette philosophie en assumant et exploitant la distance temporelle. On n'est pas forcément toujours d'accord, on voudrait l'interpeller - mais en tout cas, l'oeuvre est très vivante.
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V
Comme tu le sais, ce livre est pour moi un livre qui compte beaucoup et je te remercie du beau commentaire que tu en fais. J'ai pensé récemment à S. Zweig en visitant (mot peu approprié !)le mémorial Yad Vachem à Jérusalem. Il y a là des images terribles, mais déjà maintes fois vues,et, de ce fait, c'est difficile à avouer, elles ont (presque) perdu de leur effectivité... Mais dans une des premières salles, relatant les débuts de la folie nazie, on voit dans une vitrine des instruments d'anthropométrie... et de très doctes médecins utilisant sans sourciller ces instruments de mesure (du nez, du front, enfin bref de tout ce qui était censé être "typiquement" juif...)de l'horreur à venir. Ces instruments plus que les images de génocide qu'ils annoncent témoignent de la fragilité du "monde d'hier" et de l'incompréhensible naufrage d'un monde d'art, de savoir et de culture alors à nul autre pareil et que symbolisait la Vienne de Zweig. Ils m'ont plus ému que l'image (trop souvent montrée ?) du petit garçon aux bras levés du ghetto de Varsovie, dont elles préfigurent le calvaire. Mais c'est par leur truchement que j'ai pensé très fort au petit garçon et à la folie qui l'a emporté, lui et tant d'autres dont les noms sont cités, un à un, dans une des salles du mémorial.
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