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L'escabelle
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19 septembre 2010

Des Hommes et des Dieux, Xavier Beauvois

Ou l’histoire qui mène à l’enlèvement de sept moines de Tibéhirine par des terroristes algériens en 1996.

Difficile de rentrer dans le film au début : la caméra filme telle et telle scène de l’occupation ordinaire des moines : l’un étudie la Bible et le Coran, l’autre jardine, un troisième soigne, leurs frères vaquent chacun à ses occupations. Arrêt pour un échange sur l’état amoureux, balayage de paysages magnifiques. On les voit chanter des psaumes, dîner, communier. Les villageois leur rendent visite, les moines descendent au village. L’austérité de la mise en scène traduit sans doute ou reflète le mode de vie très modeste de la communauté, dont l’abbé garde la règle de St Benoît sur son bureau. Humilité, pauvreté, charité. On reste peut-être à distance, mais on comprend globalement bien le contexte, et de toute manière, on attend la suite.

La suite, c’est la guerre civile, les assassinats sauvages des innocents ciblés par les terroristes, et très vite, l’implication du monastère dans ses péripéties et les choix auxquels sont confrontés les religieux : accepter ou refuser la protection de l’armée, soigner ou non les terroristes, leur donner ou non des médicaments, partir ou rester. On reste sur un qui-vive tendu.

Très clairement le film souhaite montrer comment ces hommes parviennent à vivre leur foi jusqu’au bout, dépassent leur peur pour assumer leur engagement envers Dieu, et l’amour du prochain. Dignité, dépouillement, fusion dans l’essentiel, grandeur humaine, dans une vulnérabilité émouvante.

Mais je n’ai pas été vraiment convaincue. D’un point de vue artistique, la caméra avec ses longs plans fixes m’a paru trop lourde, démonstrative. Et par ailleurs, le film détaille surtout comment des hommes réussissent à se conditionner pour graduellement accepter l’inadmissible. Les doutes et les questionnements laissent la place à une résolution muette, nourrie par de fervents exercices de communion (les psaumes, par exemple) L’abbé Christian (Lambert Wilson) exprime la joie de Dieu, et juste ce qu’il faut de charisme illuminé pour convaincre ses frères de rester. A aucun moment, ils ne débattent de leur objectif à rester, concentrés sur le refoulement et le déni de leur terreur, pourtant légitime.

Le film reste muet sur le contexte diplomatique et politique. A peine quelques allusions sur le nombreux courrier qui leur parvenait, ou bien une demande d’interview. Mais rien sur leurs liens avec leur hiérarchie, par exemple, ni sur un rôle qu’on aurait pu leur faire jouer. Ce n’était peut-être pas le propos du réalisateur, mais tout de même, son étude en paraît faussée.

Il n’en reste pas moins un film émouvant, où les acteurs trouvent chacun le juste ton. Lambert Wilson se complaît visiblement dans l’épanouissement de son influence sur ses frères, qu’il distille à la perfection. Olivier Rabourdin incarne avec beaucoup de finesse un moine un peu rebelle au sacrifice qui petit à petit acquiesce au martyr. Michaël Lonsdale est plein d’une humanité espiègle.

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Commentaires
V
J'ai eu la gorge nouée devant la fameuse "Cène", que non, je n'ai trouvée ni emphatique, ni grandiloquente. Au contraire elle est très sincère, humaine, et forte. La surprise et le plaisir anticipé des moines en voyant Luc arriver avec le vin, les gorgées savourées ensemble, puis les regards qui s'intériorisent, la gravité qui descend - c'est très beau.
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V
J'ai aimé ce film, tout en comprenant les réticences - très bien exprimées par vos interventions - de ceux qui se montrent plus critiques. J'ai aimé - tout en souffrant un peu quand même... - la lenteur de la chronique initiale qui était en effet sans doute nécessaire pour mettre en évidence la simplicité des "travaux et des jours". Quelques discussions plus tard au sujet d'un film qui ne laisse décidément pas indifférent, j'en viens néanmoins à me demander si cette succession de plans n'est pas purement illustrative et si cette lenteur du montage ne confine pas à la paresse et à une absence de choix du réalisateur... Je partage vos interrogations sur le sens de ce "martyre" mais je rejoins l'enthousiasme de Pâquerette sur la scène/ Cène finale, avec cette magnifique succession de gros plans sur les visages. Certains commentateurs trouvent la scène grandiloquente, emphatique, voire ridicule. Elle l'eût été si l'extrait du "lac des cygnes" était extérieur à la scène, plaqué là, de manière hyper-signifiante, par le réalisateur : le fait que cette proposition musicale soit le fait de l'un des moines et appartienne à l'histoire de ces hommes donne tout son sens à la séquence. Une petite remarque, pour finir : il paraît que ce film, en dépit des réserves qu'il suscite, marche très fort : réjouissons-nous du succès d'un film ambitieux de cette trempe, qui propose une réflexion, même imparfaite, sur le sens de l'engagement (religieux ou pas) de toute vie. Et pensons aussi à l'insupportable soupe mélodramatico-humaniste du film hollywodien auquel nous avons échappé - enfin, pour l'instant car si le succès se confirme, le remake n'est pas loin...
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P
Ton billet me rassure : devant l'enthousiasme que ce film semble susciter, difficile de poser des bémols, or tes propres réticences m'y autorisent.<br /> Oui, difficile : il faut saluer la magnifique présence des acteurs et la maestria d'une caméra tout à tour documentaire ou visionnaire, quand elle brosse au plus près des visages une "cène" d'une rare humanité. <br /> Pour avoir visité cette année Sénanque et lu la Règle de Saint-Benoit, je dois dire que le choix de ces longs plans du début (pour dire le travail manuel, le silence, les prières et des chants) est pertinent. Je reprocherai peut-être les couleurs ternes : la spiritualité, la violence et la peur peuvent naître aussi sous le soleil et les couleurs éclatantes, peut-être le contraste aurait-il été bienvenu.<br /> Mais je retarde ce que j'ai à dire. Pourquoi sont-ils morts ? Pour Dieu, pour les ouailles dont l'Eglise leur avait donné la charge, pour eux-mêmes et leur salut ? Toujours ce malaise avec le catholicisme : trop proche du morbide, de la douleur...du martyre. Je suis d'accord avec toi, Véranne, pour le conditionnement. Héroïsme...ou inconscience ? Malaise avec les chants, les rituels, qui ne m'évoquent rien. Alors cette belle séquence sur le lac des cygnes, où l'on ne voit plus rien de religieux, rien que des visages dans leur nudité, alors qu'ils partagent le pain et le vin, est la seule qui dit la vérité : chacun son chemin d'homme, comme il peut.
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D
Bonjour Véranne, je comprends tes réticences avec lesquelles je suis d'accord. Je pense que Beauvois s'est mis des limites et puis les familles ont eu leur mots à dire. Tout cela fait que le film est un très grand film mais pas un chef d'oeuvre. Bonne journée.
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