Les Adieux à la Reine
Les Adieux à la Reine, de Benoît Jacquot, dépeint trois jours à Versailles, depuis 14 juillet 1789, du point de vue de Sidonie Laborde, lectrice de la reine Marie-Antoinette. La prise de la Bastille arrive en petite onde de choc tout d’abord, comme les vaguelettes du grand canal de Versailles où glisse la gondole qui mène ses visiteuses à la reine, puis de plus en plus fort, en même temps que les pamphlets qui listent les têtes à décoller. La majestueuse assemblée qui se pavanait quelques heures plus tôt dans les jardins s’affaire à ses malles, trottine comme des rats dans les corridors dans un sauve-qui-peut compréhensible, mais qui n’inspire guère de compassion. Sidonie traverse toutes les strates du palais, déjeunant aux cuisines avec les autres servantes, mais admise au sein du boudoir de la reine, à la croisée de tous les chemins. On la voit d’ailleurs courir sur les pavés, dévaler des escaliers, se faufiler par les portes de service. Intellectuelle comme brodeuse, elle nous emmène aussi bien à la bibliothèque que dans les frous-frous. Belle et préservée, elle attise le désir des hommes tout en soupirant pour son propre sexe. D’un point de vue narratif, une héroïne idéale. Pour le spectateur également, car Léa Seydoux, ravissante mais humaine (ah.. les jeux de lumière sur son visage, caressant des cernes qui s’esquissent) campe une jeune femme intelligente et volontaire, et tremblante d’amour à la fois. Le film anime toute une micro-société, avec une multitude de personnages secondaires très vivants, chacun à sa place mais avec son tempérament, ce qui évite l’écueil d’un patchwork ou d’un catalogue. Sans doute l’origine du film, un roman de Chantal Thomas, contribue-t-elle grandement à cette richesse, tout comme le jeu des acteurs : j’ai particulièrement apprécié Noémie Lvovsky, dans le rôle de Madame Campam, Julie-Marie Parmentier dans le rôle d’Honorine, et d’autres femmes plus anonymes (celle qui commande le dahlia brodé, par exemple), qui pourtant n’apparaît qu’assez brièvement. La présence de ces femmes se concentre de prime abord dans leur regard, fenêtre sur leur intelligence du monde. On les découvre ensuite plus globalement, dans leur aspect physique par exemple, en les détaillant presque discrètement, comme en vrai. Les personnages en deviennent intéressants, prennent une pleine stature humaine. Michel Robin détonne légèrement en monsieur Moreau, plus lourdement théâtral, mais reste fort sympathique. Diane Kruger et Virginie Ledoyen sont à la hauteur de leur professionnalisme habituel.
Les images du film ne sont pas filmées d’un point de vue neutre, par l’équivalent d’un narrateur omniscient, ou pour poser implicitement le point de vue du spectateur depuis la salle. En fait, la caméra adopte le plus souvent le point de vue de l’héroïne, ou bien d’un témoin de passage. Par exemple, on voit Sidonie, de face, franchir des grilles gardées par deux soldats, puis de dos tomber sur le pavé. C’est que la caméra nous restitue le regard des deux hommes, qui suit la jeune femme. Plan suivant, changement de direction lorsque Sidonie se relève: on voit maintenant les deux gardes, et l'on devine qu'ele vérifie s’ils se moquent d’elle. Cette technique, qui donne du sens à l’image, atteint ses limites quand la jeune femme court et que l’image tressaute.. Heureusement cela n’arrive que deux ou trois fois. Mais dans les scènes de foule, on arrive à des images presque tactiles, on ressent les frôlements dans les corridors, l’effet est réussi.
Bien sûr on pense au Marie-Antoinette de Sofia Coppola, que je voudrais prendre le temps de revoir (on me l’a offert). Les comparer serait un plaisir. A suivre donc, peut-être…