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26 avril 2012

Opération Shylock: une confession, Philip Roth

OpérationShylock

Dans ce roman de 1993, Philip Roth se met lui-même en scène. Fragilisé par un épisode dépressif douloureux lié aux effets secondaires d’un médicament, le romancier s’apprête à voyager en Israël où il a prévu d’interviewer un collègue quand lui parvient une nouvelle stupéfiante: un sosie de Philip Roth s’illustre à Jérusalem par une série de prises de positions en faveur du diasporisme, doctrine militant en faveur du retour des juifs dans leurs pays d’origine. Suivant à l’identique toutes les habitudes de son illustre modèle, l’imposteur (surnommé Pipik par PR) réussit à berner ses interlocuteurs les plus célèbres, même Lech Walesa.. La perplexité et la fureur du romancier finissent par le pousser à se confronter non seulement à Pipik, mais également à l’incarner à son tour dans un jeu de rôle qui donne le vertige. La rencontre est fabuleuse : Philip Roth détaille son double avec stupeur, en tous points comme lui, mais en mieux…  Impuissant à s’en déprendre parce que le bougre argumente, persiste, le supplie de l’aider, PR semble se dissoudre petit à petit dans la personnalité de l’autre, l’adoptant d’abord par jeu, puis s’amusant à manier ses arguments et ses concepts, hésitant au bord de la confusion, perdant parfois le contrôle, avant de se croire (comprendre ?) victime d’un complot.

Aucun nombrilisme dans ce questionnement sur l’identité et la vérité, car il se décline sur les facettes du conflit israëlo-palestinien dont le lecteur explore la complexité au fil des métamorphoses de PR, de procès en conversation, arrestation, enlèvement, prises de conscience, voyages etc..

En parallèle, Philip Roth assiste au procès de John (Ivan) Demjanuk, le bourreau de Treblinka, Ivan le terrible, un sadique qui torturait des victimes au hasard dans le camp d’extermination. Ironie savamment ciselée dans l’intrigue, le prévenu nie être Demjanuk, plaidant un simple ressemblance. La défense s’appuie notamment sur un récit d’ancien prisonnier pour affirmer que le vrai Demjanuk a été finalement assassiné dans le camp. L’ancien prisonnier est là, qui réfute lui-même la véracité de son propre texte, expliquant qu’il avait seulement recopié un fait rapporté, et que par ailleurs il reconnaît formellement Demjanuk. Quelle est donc la vérité d’un texte ? Quand Philip Roth présente à la fin son roman comme un récit fidèle à la réalité, c’est un ancien du Mossad qui lui rit au nez : sa vision des événements est tellement bornée, le sens qu’il donne aux péripéties est tellement faussé que son témoignage ne vaut rien de plus qu’une fiction. En retour, toute fiction n’est-elle pas la vérité de quelqu’un ?

Un roman d’une grande virtuosité, plein d’un humour de l’absurde adouci d’une tendresse humaine, maîtrisé dans le vertige, d’un rythme qui mêle les pauses narratives des grands romans de formation aux péripéties d’un John Le Carré…

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Commentaires
J
Un roman très intelligent. Philip Roth est vraiment fortiche !
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