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L'escabelle
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5 juin 2012

De Rouille et d'Os

RouilleOs

Le dernier film d’Audiard, De Rouille et d’Os, a un titre douloureux, mais bien senti. La rouille, c’est par exemple la couleuret le goût du sang, celui des blessures, celui des accouchements aussi.

L’intrigue du film est assez improbable, mais ne se situe pas dans une vraisemblance statistique. En effet, elle emporte dans une dimension qui relève de la tragédie grecque, de la mythologie nordique, ou plus proche de nous, des contes populaires à la Grimm ou Andersen. Elle évoque les peurs et les enjeux de la vie avec une force cruelle, nos hantises et nos déchirements. Les héros sont de simples mortels en proie à des épreuves primordiales brutes. Etres d’exception, tout de même, pour franchir ces obstacles extrêmes dont l’aventure nous instruit, nous éclaire tout en nous effrayant comme des enfants qui écoutent un conte.

Concrètement, on pourrait dire que l’héroïne séduit et dompte de grosses bêtes (orques, boxeurs…) gentilles mais qui ne connaissent pas leur force.  Pour les orques à l’innocence originelle, il sera peine perdue de leur inculquer la délicatesse. Mais le boxeur petit à petit accèdera à une conscience plus complexe du monde, où la force s’attendrira de l’amour et se nourrira de responsabilité, dans un processus violent et laborieux puisque le boxeur accouche de son petit garçon en même temps que de lui-même, eaux glaciales en guise de liquide amniotique et os brisés.

L’héroïne, Stéphanie, est une « femme puissante », au sens des héroïnes de Marie NDiaye (elle prétend d’ailleurs s’appeler Marie dans une scène), qui déplace des montagnes par ses sortilèges : d’un geste elle soulève les orques hors de l’eau, d’un regard elle séduit les hommes. La simple vue de ses chevilles prothétiques rendent la victoire à Ali. Elle offre un abord fascinant qui peut déraper vers la sidération. Ce sont les rapports de forces qui l'intéresse (voir par exemple la scène où ele reproche à Simon de se dérober quand Ali le défie) Mais la puissance à l’état brut est destruction en germe… Elle ne contrôle pas forcément les forces qu’elle déchaîne. Petit à petit, elle apprendra à chercher autre chose que ce pouvoir-là.

Les images du film sont souvent très fortes, par exemple la thématique filée des ombres, l’image récurrente du profil qui évoque une échographie, certaines prises de vue comme l’immense paroi d’aquarium devant laquelle se dresse l’héroïne quand elle appelle l’orque.

Le choix des images et jeu de caméra est d’une maîtrise virtuose. Le mouvement, la lutte, l’angoisse se traduisent en images d’une efficacité confondante. Pas de caméra à l’épaule, pas d’images tremblées ou de prise de vue alambiquée – mais on est plongé dans le vif du sujet.

J’aurais peut-être une réserve tout de même (deux en comptant les cinq dernières minutes, l’hôtel Sheraton et la réussite visible du héros), concernant le personnage féminin.

L’image de la femme est extrêmement positive, comme dans Un Prophète. Mais en même temps, Stéphanie n’existe pas en soi. Elle ne développe pas sa propre force, ni un projet en propre. Passant directement de la révolte à la sagesse sans flottement, sans doute sur son devenir, elle est un véhicule, une déesse effrayante et radieuse, une force d’inspiration qui montre le chemin à Ali. Mais elle-même, où va-t-elle ?

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Commentaires
V
C’est vrai que « tragédie » ne convient effectivement pas. Finalement dans mon esprit (et ma culture), ce sont plutôt les mythes grecs qui correspondraient à ces aventures où les personnages sont exposés à des défis paraissant démesurés.<br /> <br /> Ce que tu écris sur Stéphanie est éclairant. Effectivement elle développe sa propre force, contrairement à ce que j’avais d’abord ressenti. Mais concernant son projet, elle ne me semble pas se construire une nouvelle vie en dehors de son amour pour Ali : un nouveau métier par exemple (les combats oui, au début, mais ensuite ?), des loisirs, des formations, des contacts avec des associations ou Pôle Emploi, sa famille, que sais-je. On ne voit d’elle que ce qui se rapporte à Ali, elle devient un personnage dans sa vie. <br /> <br /> Mais peut-être aussi que je mélange des niveaux qui se fuient mutuellement, m’accrochant à des bribes « réalistes », alors qu’au fond le film glisse plutôt vers le conte ou la légende.
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V
Merci de ces analyses très justes de ce film « puissant » et la référence à N’Daye me paraît tout à fait pertinente… Le mélodrame, que l’on pouvait craindre, est tenu à distance et on est en effet bien davantage dans le conte, forcément cruel comme tous les contes, que dans la tragédie (car il n’y a pas de puissance supérieure qui pèse sur leur destin… « tragique », mais dans l’acception banale du terme). Et Stéphanie, un moment belle endormie- engourdie, est réveillée par un prince qui n’a rien de charmant. La belle est un temps fascinée par la force de la bête (et tu as raison de souligner la place de l’animalité dans ce film) mais c’est effectivement une femme « puissante », et sur ce point (« Stéphanie n’existe pas en soi. Elle ne développe pas sa propre force, ni un projet en propre. »), je te suis moins : elle (re)développe très vite sa force : au début elle est bien campée sur ses jambes comme le montrent à l’envi plusieurs scènes de la première partie, mais, après un passage à vide qui la fragilise, elle reprend très vite la main, si j’ose dire, grâce à ses béquilles, qui ne sont pas qu’orthopédiques… Et, à partir de ce moment, elle impose – certes non sans mal car Ali mettra du temps à briser la glace (!) – sa leçon de vie : il ne suffit pas d’être (seulement) « opé » !
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