Sybil (2019)
Sybil, de Justine Triet, a été une très bonne surprise, et même une surprise tout court, ce qui l'a rendue meilleure encore : une romancière en mal d'inspiration qui s'inspire de la vie de quelqu'un de réel, voire qui vampirise un peu sa victime, c'est risquer le déjà vu (souvent). Mais ici, il sont plusieurs à s'inspirer les uns des autres, dans une espèce de spirale malsaine, à sortir leurs tripes parce qu'ils s'animent de l'énergie, des vibrations des autres en se poussant à leurs limites.
Une thématique filée est que chacun trame le récit de sa vie pour lui donner un sens - se plonge dans ses souvenirs, peut-être "se la raconte", comme on dit, ou tout simplement l'évoque un point à l'endroit, un point à l'envers - justement, Sybil est psy.
Sybil rencontre Margot, une jeune actrice en détresse, perpétuellement sur les nerfs, au moment où elle avait décidé de se consacrer à l'écriture. Pourquoi accepte-t-elle de prendre cette nouvelle patiente ? Sans doute parce que le présent de Margot évoque le passé de Sybil par certains aspects, et ensuite parce qu'il remplit la page blanche. Mais impossible pour Sybil de garder le contrôle. dans ces orages électriques, ces tempêtes d'émotion qu'il faut essuyer. Des points d'ancrage s'imposent parfois brutalement - tirant brusquement sur une corde invisible. Le passé s'engouffre dans la brèche, et déstabilise l'équilibre construit en même temps que sa famille, sur laquelle l'intrigue se resserre parfois. Les points d'ancrage sont aussi des êtres humains comme son mari et sa soeur, avec des valences parfois ambiguës.
Comment vit-on cette tourmente ? Virgine Efira concilie la plongée en soi avec la fuite en avant, et porte le film avec son énergie, son humour et son charme. Je n'ose pas imaginer Marion Cotillard à sa place !!! Adèle Exarchopoulos est toujours aussi charnelle, et peu crédible quand elle récite son texte. Les hommes sont à la hauteur de Virginie Efira, beaux, profonds (craquants) (hum)
Donc j'ai beaucoup aimé ce film - ayant peut-être une réserve tout de même : son souci de clarté explicite sur "la vie est une fiction", alors que tout est là pour l'exprimer en finesse et que le spectateur aime bien deviner tout seul, parfois.
Après je passe à un petit spoiler, donc Biiiip , vous pouvez vous éloigner si vous préférez.
La scène finale, avec le fils de Sybil, est pour moi un morceau d'anthologie - pure émotion en même temps que retour sur terre douloureux parce qu'en jeu sont la fragilité et la souffrance d'un enfant. Or à son tour il endosse le rôle du psy en questionnant sa mère, en terminant sur la question sur laquelle où finalement tout s'articule. La vérité sort de la bouche d'un enfant - qui a peut-être été briefé par sa tante... et la spirale continue. Une fin magistrale.