Les Disparus, Daniel Mendelsohn
Cette oeuvre littéraire de plus de 900 pages relate comment Daniel Mendelsohn est parti à la recherche d'une partie de sa famille, disparue pendant la seconde guerre mondiale sans que leurs descendants n'en connaissent les circonstances exactes. Ce travail a reçu de nombreux prix, dont le Médicis Etranger de 2007.
S'il se lit comme un roman et se préoccupe explicitement de technique narrative, il n'en est pas moins inclassable, tenant aussi de la chronique, du récit biographique, de l'essai.Tout en reprenant chronologiquement les étapes de sa quête, DM s'accompagne d'une réflexion constante qui sous-tend le récit et lui donne une problématique: que nous dit l'Ancien Testament sur la Création, le meurtre du frère (Caïn et Abel), le massacre des innocents? De plus, alternant entre l'empathie et la prise de distance réflexive, Les Disparus diffuse une émotion profonde.
Ce texte réussit à convoquer une famille, et même un village entier. En revenant plusieurs fois sur les mêmes sujets, dans les mêmes lieux, en reprenant les notes, en croisant les sources, DM affine ses informations, les précise, dégage des contours et fugitivement, au passage, dévoile, éclaire un visage, un geste, rendant soudain corps, chair et sang à des souvenirs avant qu'ils redeviennent lettres jaunies et vieilles photos. A certains moments, il parvient même à soulever, hisser du néant la communauté toute entière. Ce désir interpelle le lecteur sur la mort et la relation au passé en général, indépendamment du contexte précis de la Shoah. Mais évidemment l'horreur reste présente en creux, et revient souvent au premier plan. Impossible de rester insensible, même si l'on a déjà lu sur les déportations, les exécutions sommaires, les commandos-pelotons d'exécution...
Cette oeuvre impose le respect par son refus de diaboliser les coupables, ou de se limiter à une réflexion sur le génocide juif. Pourquoi assassine-t-on son prochain, son proche? Peut-on expliquer les exterminations collectives - parce que l'on est juif, ou ukrainien, ou... tutsi, arménien, croate...? L'auteur, helléniste confirmé, aurait pu puiser dans la pensée grecque pour raisonner. Mais c'est dans la Bible hébraïque qu'il préfère chercher des outils de réflexion. Comment interpréter ce choix? Peut-être parce que ses lecteurs, majoritairement de culture judéo-chrétienne connaissent les références sur lesquelles il s'appuie, ce qui facilite la transmission de sa pensée. Mais aussi, en montrant que le Dieu des Juifs lui-même pratiquait le génocide sans frémir, Daniel Mendelsohn incite ses lecteurs à se libérer de certaines hantises, comme l'anti-sémistisme, par exemple, afin d'accéder à une pensée plus universelle: car enfin oui, Dieu a tué des innocents par le Déluge qui a tout balayé, ou en détruisant Sodome et Gomorrhe, où certains respectaient les commandements de Dieu. Alors pourquoi ce massacre aveugle? Comment le justifier? A partir de la Bible quelle sagesse développer pour comprendre l'Homme? Peut-on y puiser de quoi continuer à avancer, à vivre?
Tout ce travail est également parcouru de petits apartés, de réflexions personnelles qui rendront un écho différent en chaque lecteur. A vous de tenter ce dialogue...