Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'escabelle
L'escabelle
Publicité
L'escabelle
Newsletter
Archives
29 octobre 2009

Les Disparus, Daniel Mendelsohn

Cette oeuvre littéraire de plus de 900 pages relate comment Daniel Mendelsohn est parti à la recherche d'une partie de sa famille, disparue pendant la seconde guerre mondiale sans que leurs descendants n'en connaissent les circonstances exactes. Ce travail a reçu de nombreux prix, dont le Médicis Etranger de 2007.

S'il se lit comme un roman et se préoccupe explicitement de technique narrative, il n'en est pas moins inclassable, tenant aussi de la chronique, du récit biographique, de l'essai.Tout en reprenant chronologiquement les étapes de sa quête, DM s'accompagne d'une réflexion constante qui sous-tend le récit et lui donne une problématique: que nous dit l'Ancien Testament sur la Création, le meurtre du frère (Caïn et Abel), le massacre des innocents? De plus, alternant entre l'empathie et la prise de distance réflexive, Les Disparus diffuse une émotion profonde.

Ce texte réussit à convoquer une famille, et même un village entier. En revenant plusieurs fois sur les mêmes sujets, dans les mêmes lieux, en reprenant les notes, en croisant les sources, DM affine ses informations, les précise, dégage des contours et fugitivement, au passage, dévoile, éclaire un visage, un geste, rendant soudain corps, chair et sang à des souvenirs avant qu'ils redeviennent lettres jaunies et vieilles photos. A certains moments, il parvient même à soulever, hisser du néant la communauté toute entière. Ce désir interpelle le lecteur sur la mort et la relation au passé en général, indépendamment du contexte précis de la Shoah. Mais évidemment l'horreur reste présente en creux, et revient souvent au premier plan. Impossible de rester insensible, même si l'on a déjà lu sur les déportations, les exécutions sommaires, les commandos-pelotons d'exécution...

Cette oeuvre impose le respect par son refus de diaboliser les coupables, ou de se limiter à une réflexion sur le génocide juif. Pourquoi assassine-t-on son prochain, son proche? Peut-on expliquer les exterminations collectives - parce que l'on est juif, ou ukrainien, ou... tutsi, arménien, croate...? L'auteur, helléniste confirmé, aurait pu puiser dans la pensée grecque pour raisonner. Mais c'est dans la Bible hébraïque qu'il préfère chercher des outils de réflexion. Comment interpréter ce choix? Peut-être parce que ses lecteurs, majoritairement de culture judéo-chrétienne connaissent les références sur lesquelles il s'appuie, ce qui facilite la transmission de sa pensée. Mais aussi, en montrant que le Dieu des Juifs lui-même pratiquait le génocide sans frémir, Daniel Mendelsohn incite ses lecteurs à se libérer de certaines hantises, comme l'anti-sémistisme, par exemple, afin d'accéder à une pensée plus universelle: car enfin oui, Dieu a tué des innocents par le Déluge qui a tout balayé, ou en détruisant Sodome et Gomorrhe, où certains respectaient les commandements de Dieu. Alors pourquoi ce massacre aveugle? Comment le justifier? A partir de la Bible quelle sagesse développer pour comprendre l'Homme? Peut-on y puiser de quoi continuer à avancer, à vivre?

Tout ce travail est également parcouru de petits apartés,  de réflexions personnelles qui rendront un écho différent en chaque lecteur. A vous de tenter ce dialogue...

Publicité
Commentaires
V
Hello Volland,<br /> Incapacité à supporter l'image que le miroir nous renvoie, haine de soi, je n'y avais pas pensé. Cela signifierait-il que l'on tue les témoins de ce que nous sommes? <br /> Cette idée me frappe tellement que j'aimerais bien que tu le développes un peu. En tout cas je vais y réfléchir, et - promis, je travaille sur Le Ruban Blanc!
Répondre
V
Pour moi aussi, c'est une lecture un peu ancienne, mais qui m'a beaucoup marqué. Ce que j'en avais retenu alors de plus prégnant, c'est que ce n'est finalement pas l'Autre, le lointain, le différent, qu'on assassine avec obstination, mais au contraire, comme le rappelle Véranne, le proche, le semblable. C'est mon voisin (juif, arménien, bosniaque, tutsi, ...)que je ne supporte pas. Ceux qui se déchirent avec le plus d'allant dans l'horreur sont souvent ceux qui ont longtemps cheminé ensemble et qui partagent un certain nombre de références culturelles, parfois la même langue. Cette constatation doit nous rendre toujours vigilants et nous conduire à un pessimisme lucide : "ça" n'arrive pas qu'aux autres, comme l'a démontré le conflit en ex-Yougoslavie à nos yeux incrédules, persuadés que nous étions, en bons Européens définitivement à l'abri de toutes ces horreurs, que le pire était encore possible. Problème d'"espace vital" ou, plus profondément, incapacité à supporter l'image que le miroir nous renvoie ? Et au bout du compte, haine de soi ? On entre là dans les arcanes de la diffusion du Mal, dont témoigne de façon magistrale le film "Le ruban blanc" actuellement à l'affiche.Mais je laisse à Véranne le soin de lancer le débat sur cette leçon de cinéma...
Répondre
V
Hello Dasola. Tout à fait par hasard j'ai découvert qu'une de mes collègues connaissait Mendelsohn par l'intermédiaire de la famille Begley. C'était comme si des personnages littéraires se levaient soudain pour prendre place au café avec nous! M. semble être un auteur hors du commun, et a également écrit un livre sur l'homosexualité, que je vais lire si je trouve un moment. <br /> Merci pour ton passage, je suis allée lire ton billet.
Répondre
D
Bonsoir Veranne, j'ai chroniqué ce livre dans un billet, le 25/03/08. J'ai trouvé la démarche intéressante mais le style m'a vraiment paru pesant et il y a des longueurs mais les 100 dernières pages sont bien. Je l'aurais bien vu adapté comme documentaire. Bonne soirée.
Répondre
P
Il y a un certain temps que j'ai lu ce livre qui figurera dans mes lectures majeures. Ce n'est pas un roman, c'est une enquête sur une famille juive, faite non pas par un détective, mais par un membre de cette famille, passionné de généalogie, hélléniste, qui s'interroge sur la culpabilité, les racines du mal, la mémoire.<br /> Nous sommes arrivés au moment où les survivants de la shoah peuvent encore témoigner - ou même, dans ce cas, parler toup simplement, donner les quelques éléments qui permettront de suivre le fil d'une histoire. Il y a caractère d'urgence, et c'est aussi en cela que ce livre est important : c'est le livre d'un moment-clé où les jeunes générations réalisent que le temps est compté pour savoir la vérité.<br /> Cette vérité, veut-on toujours la connaître ? On voit bien comment l'auteur hésite, se décourage quelquefois : il faut dire que la lumière au bout de l'enquête est bien noire, traumatisante.<br /> Et puis cette vérité sur la shoah, que les nazis n'ont pas été seuls à commettre leurs crimes, que ce serait trop simple de penser cela, que les populations locales leur ont largement prêté main forte, voire ont dépassé leurs attentes. Et ce sont tous les crimes contre l'humanité qui sont alors interrogés...<br /> L'autre versant, c'est ce travail sur la mémoire : de quoi veut-on bien se souvenir ? Que préfère-t-on oublier ? Quels secrets de famille cache l'amnésie ? Une écriture en cercles concentriques se resserre implacablement, circonscrit ce petit village où se trouve la clé.<br /> Il faudrait lire en parallèle, je crois, ce roman magnifique de Philippe Claudel qu'est Le rapport de Brodeck.<br /> Je ne suis pas compétente pour apprécier à leur juste valeur les passages à propos de la Bible. On voit qu'ils éclairent le propos familial: Caïn et Abel ou les frères ennemis, par exemple. L'auteur aurait pu convoquer la tragédie antique, on y entend les mêmes échos, en effet.<br /> Oui, c'est un livre qui fait réfléchir, qui interpelle, mais surtout, il distille une émotion, une chaleur humaine, un intérêt pour les autres, qui fait qu'on s'attache à l'histoire de cette famille comme si c'était la nôtre : et elle l'est, sans doute.
Répondre
Publicité