L'Ecume des Jours
L’Ecume des Jours (Philippe Gondry, 2013) est une oeuvre très intéressante, qu’il vaut sans doute la peine d’aller voir. En effet si le film m’a paru d’une réussite inégale, il est cependant très réjouissant. La première partie détaille l’univers plein de fantaisie de Boris Vian, emportant le spectateur de surprise en trouvaille. Cependant on ne peut rester indéfiniment « ravi de la crèche », d’autant que le film dérape en douceur vers une visite d’attractions à la Walt Disney. La chasse à l’anguille ou les plats-tableaux vivants servis à table font penser à des dessins animés, et ne visent d’ailleurs pas la moindre illusion de réalisme. Notons du reste que ce refus de l’effet spécial bien léché est fort plaisant dans son kitsch artisanal assumé.
La critique principale que je pourrais formuler est que le spectateur assiste passivement à l’étalage de cette profusion qui se donne simplement à voir mais ne se prête pas à l’élaboration collective. Jean-Pierre Jeunet a su bien mieux la mettre en œuvre dans Delicatessen, La cité des Enfants perdus ou Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain.
C’est lorsque le cinéaste range sa baguette magique que le spectateur, sorte de belle au bois dormant figée dans un ravissement éternel, peut revenir à la vie. Le baiser du prince charmant s’inverse en baiser de la mort, ouvrant la bulle magique à la fleur toxique du nénuphar qui va détruire Chloë. Le temps reprend son vol, le spectateur lit les signes, construit la logique de la dégradation inexorable d’un univers où la mort s’insinue, lézarde les murs, occulte la lumière de ses toiles d’araignées, fait pâlir les couleurs… Cette seconde partie est véritablement émouvante.
On ne peut évoquer le film sans parler de sa musique épatante (surtout si on aime Duke Ellington), ni évidemment de Jean-Sol Partre dont le charisme conduit à de véritables émeutes. Gad Elmaleh et Omar Sy relèvent efficacement le défi. Romain Duris est à l’aise dans son personnage et Audrey Tautou est très bien aussi – mais des acteurs plus jeunes auraient peut-être mieux collé à l’innocence de l’amour que se portent les héros. Dommage aussi de choisir une actrice à la fraîcheur indéniable mais totalement prévisible pour une intrigue dont une grande partie de la séduction repose sur la surprise.
En tout cas, une grande réussite de ce film est sans doute de donner envie d’en parler, de confronter son point de vue à celui d’amis qui l’auraient vu aussi…